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L’art de présenter quelques fragments de noix grillée, afin de voir votre femme avancer sa blanche main dans le piége, est très-circonscrit car une femme est bien certainement sur ses gardes ; cependant nous comptons au moins trois genres de souricières : L’IRRÉSISTIBLE, LA FALLACIEUSE et CELLE À DÉTENTE.


DE L’IRRESISTIBLE.

Deux maris étant donnés, et qui seront À, B, sont supposés vouloir découvrir quels sont les amants de leurs femmes. Nous mettrons le mari À au centre d’une table chargée des plus belles pyramides de fruits, de cristaux, de sucreries, de liqueurs, et le mari B sera sur tel point de ce cercle brillant qu’il vous plaira de supposer. Le vin de Champagne a circulé, tous les yeux brillent et toutes les langues sont en mouvement.

MARI À. (Épluchant un marron.) Eh ! bien, moi j’admire les gens de lettres, mais de loin ; je les trouve insupportables, ils ont une conversation despotique ; je ne sais ce qui nous blesse le plus de leurs défauts ou de leurs qualités, car il semble vraiment que la supériorité de l’esprit ne serve qu’à mettre en relief leurs défauts et leurs qualités. Bref !… (Il gobe son marron.) Les gens de génie sont des élixirs, si vous voulez, mais il faut en user sobrement.

FEMME B. (Qui était attentive.) Mais, monsieur À, vous êtes bien difficile ! (Elle sourit malicieusement.) Il me semble que les sots ont tout autant de défauts que les gens de talent, à cette différence près qu’ils ne savent pas se les faire pardonner !…

MARI À. (Piqué.) Vous conviendrez, au moins, madame, qu’ils ne sont guère aimables auprès de vous…

FEMME B. (Vivement) Qui vous l’a dit ?

MARI À. (Souriant.) Ne vous écrasent-ils pas à toute heure de leur supériorité ? La vanité est si puissante dans leurs âmes qu’entre vous et eux il doit y avoir double emploi…

LA MAITRESSE de la maison. (À part à la FEMME À.) Tu l’as bien mérité, ma chère… (La femme À lève les épaules.)

MARI À. (Continuant toujours.) Puis l’habitude qu’ils ont de combiner des idées leur révélant le mécanisme des sentiments,