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qui, l’une près de l’autre, formaient un couple horrible. D’un côté la vie dans la mort, de l’autre la mort dans la vie.

— Mon gentil poète ! s’écria Marie en baisant le roi.

— « Bonjour, Cosme, a répondu le vieil alchimiste à son frère. Et tous deux ont regardé le fourneau. — Quelle force a la lune aujourd’hui ? demanda le vieillard à Cosme. — Mais, caro Lorenzo, a répondu l’astrologue de ma mère, la marée de septembre n’est pas encore finie, on ne peut rien savoir par un pareil désordre. — Que nous dit l’orient, ce soir ? — Il vient de découvrir, a répondu Cosme, une force créatrice dans l’air qui rend à la terre tout ce qu’elle y prend ; il en conclut, comme nous, que tout ici-bas est le produit d’une lente transformation mais que toutes les diversités sont les formes d’une même substance. — C’est ce que pensait mon prédécesseur, a répondu Laurent. Ce matin, Bernard de Palissy me disait que les métaux étaient le résultat d’une compression, et que le feu, qui divise tout, réunit tout aussi ; que le feu a la puissance de comprimer aussi bien que celle de séparer. Il y a du génie chez ce bonhomme. » Quoique je fusse placé de manière à ne pas être vu, Cosme dit en prenant la main de la jeune morte : — « Il y a quelqu’un près de nous ! — Qui est-ce ? demanda-t-il. — Le roi ! dit-elle. » Je me suis montré en frappant le vitrail, Ruggieri m’a ouvert la croisée, et j’ai sauté dans cette cuisine de l’enfer, suivi de Tavannes. — « Oui, le roi, dis-je aux deux Florentins qui nous parurent saisis de terreur. Malgré vos fourneaux et vos livres, vos sorcières et votre science, vous n’avez pas su deviner ma visite. Je suis bien aise de voir ce fameux Laurent Ruggieri de qui parle si mystérieusement la reine ma mère, dis-je au vieillard qui se leva et s’inclina. Vous êtes dans le royaume sans mon agrément, bonhomme. Pour qui travaillez-vous ici, vous qui, de père en fils, êtes au cœur de la maison de Médicis ? Écoutez-moi ! Vous puisez dans tant de bourses, que depuis long-temps des gens cupides eussent été rassasiés d’or ; vous êtes des gens trop rusés pour vous jeter imprudemment dans des voies criminelles, mais vous ne devez pas non plus vous jeter en étourneaux dans cette cuisine ; vous avez donc de secrets desseins, vous qui n’êtes satisfaits ni par l’or, ni par le pouvoir ? Qui servez-vous ? Dieu ou le diable ? Que fabriquez-vous ici ? Je veux la vérité tout entière, je suis homme à l’entendre et à vous garder le secret sur vos entreprises, quelque blâmables qu’elles puissent être. Ainsi vous me direz tout,