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Après tout rien de si dangereux qu’une chaise, et il est bien malheureux qu’on ne puisse pas enfermer les femmes entre quatre murs !… Quel est le mari qui, en s’asseyant sur une chaise disjointe, n’est pas toujours porté à croire qu’elle a reçu l’instruction du Sopha de Crébillon fils ? Mais nous avons heureusement arrangé vos appartements d’après un système de prévision tel que rien ne peut y arriver de fatal, à moins que vous n’y consentiez par votre négligence.

Un défaut que vous contracterez (et ne vous en corrigez jamais) sera une espèce de curiosité distraite qui vous portera sans cesse à examiner toutes les boîtes, à mettre cen dessus dessous les nécessaires. Vous procéderez à cette visite domiciliaire avec originalité, gracieusement, et chaque fois vous obtiendrez votre pardon en excitant la gaieté de votre femme.

Vous manifesterez toujours aussi l’étonnement le plus profond à l’aspect de chaque meuble nouvellement mis dans cet appartement si bien rangé. Sur-le-champ vous vous en ferez expliquer l’utilité ; puis vous mettrez votre esprit à la torture pour deviner s’il n’a point un emploi tacite, s’il n’enferme pas de perfides cachettes.

Ce n’est pas tout. Vous avez trop d’esprit pour ne pas sentir que votre jolie perruche ne restera dans sa cage qu’autant que cette cage sera belle. Les moindres accessoires respireront donc l’élégance et le goût. L’ensemble offrira sans cesse un tableau simple et gracieux. Vous renouvellerez souvent les tentures et les mousselines. La fraîcheur du décor est trop essentielle pour économiser sur cet article. C’est le mouron matinal que les enfants mettent soigneusement dans la cage de leurs oiseaux, pour leur faire croire à la verdure des prairies. Un appartement de ce genre est alors l’ultima ratio des maris : une femme n’a rien à dire quand on lui a tout prodigué.

Les maris condamnés à habiter des appartements à loyer sont dans la plus horrible de toutes les situations.

Quelle influence heureuse ou fatale le portier ne peut-il pas exercer sur leur sort !

Leur maison ne sera-t-elle pas flanquée à droite et à gauche de deux autres maisons ? Il est vrai qu’en plaçant d’un seul côté l’appartement de leurs femmes, le danger diminuera de moitié ; mais ne sont-ils pas obligés d’apprendre par cœur et de méditer l’âge, l’état, la fortune, le caractère, les habitudes des locataires de la