Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur sa face calme et attentive, pâle de veilles et de travaux, tombaient les rayons concentrés d’une lampe d’où jaillissait une vive lumière. Il partageait son attention entre un vieux manuscrit dont le parchemin doit avoir plusieurs siècles, et deux fourneaux allumés où cuisaient des substances hérétiques. Le plancher du laboratoire ne se voyait ni en haut ni en bas, tant il s’y trouvait d’animaux suspendus, de squelettes de plantes desséchées de minéraux, d’ingrédients qui farcissaient les murs : ici, des livres, des instruments de distillation, des bahuts remplis d’ustensiles de magie, d’astrologie ; là, des thèmes de nativité, des fioles, des figures envoûtées et peut-être des poisons qu’il fournit à René pour payer l’hospitalité et la protection que le gantier de ma mère lui donne. Tavannes et moi nous avons été saisis, je te l’assure, par l’aspect de cet arsenal du diable ; car, rien qu’à le voir, on est sous un charme, et n’était mon métier de roi de France, j’aurais eu peur. — « Tremble pour nous deux ! » ai-je dit à Tavannes. Mais Tavannes avait les yeux séduits par le plus mystérieux des spectacles. Sur un lit de repos, à côté du vieillard, était étendue une fille de la plus étrange beauté, fine et longue comme une couleuvre, blanche comme une hermine, livide comme une morte, immobile comme une statue. Peut-être est-ce une femme fraîchement tirée d’un tombeau qui servait à quelque expérience, car elle nous a semblé avoir encore son linceul ; ses yeux étaient fixes, et je ne la voyais pas respirer. Le vieux drôle n’y faisait pas la moindre attention je le regardais si curieusement, que son esprit a, je crois, passé en moi ; à force de l’étudier, j’ai fini par admirer ce regard si vif, si profond, si hardi, malgré les glaces de l’âge ; cette bouche remuée par des pensées émanées d’un désir qui paraissait unique, et qui restait gravé dans mille plis. Tout en cet homme accusait une espérance que rien ne décourage et que rien n’arrête. Son attitude pleine de frémissements dans son immobilité, ces contours si déliés, si bien fouillés par une passion qui fait l’office d’un ciseau de sculpteur, cette idée acculée sur une tentative criminelle ou scientifique, cette intelligence chercheuse, à la piste de la nature, vaincue par elle et courbée sans avoir rompu sous le faix de son audace à laquelle elle ne renonce point, menaçant la création avec le feu qu’elle tient d’elle… tout m’a fasciné pendant un moment. J’ai trouvé ce vieillard plus roi que je ne le suis, car son regard embrassait le monde et le dominait. J’ai résolu de ne plus forger des