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et moi, qu’il ne fallait pas recommencer. Si chacun de nous avait été seul, aucun n’aurait fait le coup.

— Tu as sauté le premier, je gage ? (Le roi sourit.) — Je sais pourquoi tu risques ainsi ta vie.

— Oh ! la belle devineresse !

— Tu es las de vivre.

— Foin des sorciers ! je suis poursuivi par eux, dit le roi reprenant un air grave.

— Ma sorcellerie est l’amour, reprit-elle en souriant. Depuis le jour heureux où vous m’avez aimée, n’ai-je pas toujours deviné vos pensées ? Et, si vous voulez me permettre de vous dire la vérité, les pensées qui vous tourmentent aujourd’hui ne sont pas dignes d’un roi.

— Suis-je roi ? dit-il avec amertume.

— Ne pouvez-vous l’être ? Comment fit Charles VII, de qui vous portez le nom ? il écouta sa maîtresse, monseigneur, et il reconquit son royaume, envahi par les Anglais comme le vôtre l’est par ceux de la Religion. Votre dernier coup d’État vous a tracé une route qu’il faut suivre. Exterminez l’hérésie.

— Tu blâmais le stratagème, dit Charles, et aujourd’hui…

— Il est accompli, répondit-elle ; d’ailleurs, je suis de l’avis de madame Catherine, il valait mieux le faire soi-même que de le laisser faire aux Guise.

— Charles VII n’avait que des hommes à combattre, et je trouve en face de moi des idées, reprit le roi. On tue les hommes, on ne tue pas des mots ! L’empereur Charles-Quint y a renoncé, son fils Don Philippe y épuise ses forces, nous y périrons tous, nous autres rois. Sur qui puis-je m’appuyer ? À droite, chez les Catholiques, je trouve les Guise qui me menacent ; à gauche, les Calvinistes ne me pardonneront jamais la mort de mon pauvre père Coligny, ni la saignée d’août ; et, d’ailleurs, ils veulent supprimer les trônes ; enfin devant moi, j’ai ma mère…

— Arrêtez-la, régnez seul, dit Marie à voix basse et dans l’oreille du roi.

— Je le voulais hier et ne le veux plus aujourd’hui. Tu en parles bien à ton aise.

— Entre la fille d’un apothicaire et celle d’un médecin la distance n’est pas si grande, reprit Marie Touchet qui plaisantait volontiers sur la fausse origine qu’on lui prêtait.