et les caprices qu’elle peut avoir, comme le font de généreux célibataires.
Enfin, chose difficile, chose pour laquelle il faut un courage surhumain, il doit exercer le pouvoir le plus absolu sur l’âne dont parle Sterne. Cet âne doit être soumis comme un serf du treizième siècle à son seigneur ; obéir et se taire, marcher et s’arrêter au moindre commandement.
Muni de tous ces avantages, à peine un mari pourra-t-il entrer en lice avec l’espoir du succès. Comme tous les autres, il court encore le risque d’être, pour sa femme, une espèce d’éditeur responsable.
Hé ! quoi, vont s’écrier quelques bonnes petites gens pour lesquels l’horizon finit à leur nez, faut-il donc se donner tant de peines pour s’aimer ; et, pour être heureux en ménage, serait-il donc nécessaire d’aller préalablement à l’école ? Le gouvernement va-t-il fonder pour nous une chaire d’amour, comme il a érigé naguère une chaire de droit public ?
Voici notre réponse :
Ces règles multipliées si difficiles à déduire, ces observations si minutieuses, ces notions si variables selon les tempéraments, préexistent, pour ainsi dire, dans le cœur de ceux qui sont nés pour l’amour, comme le sentiment du goût et je ne sais quelle facilité à combiner les idées se trouvent dans l’âme du poëte, du peintre ou du musicien. Les hommes qui éprouveraient quelque fatigue à mettre en pratique les enseignements donnés par cette Méditation, sont naturellement prédestinés, comme celui qui ne sait pas apercevoir les rapports existants entre deux idées différentes est un imbécile. En effet, l’amour a ses grands hommes inconnus, comme la guerre a ses Napoléons, comme la poésie a ses André Chéniers et comme la philosophie a ses Descartes.
Cette dernière observation contient le germe d’une réponse à la demande que tous les hommes se font depuis long-temps : pourquoi un mariage heureux est-il donc si peu fréquent ?
Ce phénomène du monde moral s’accomplit rarement, par la raison qu’il se rencontre peu de gens de génie. Une passion durable est un drame sublime joué par deux acteurs égaux en talents, un drame où les sentiments sont des catastrophes, où les désirs sont des événements, où la plus légère pensée fait changer la scène. Or, comment trouver souvent, dans ce troupeau de bimanes qu’on