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Dans les circonstances actuelles, Sterne lui-même retrancherait sans doute de sa lettre l’article de l’âne ; et, loin de conseiller à un prédestiné de se faire tirer du sang, il changerait le régime des concombres et des laitues en un régime éminemment substantiel. Il recommandait alors l’économie pour arriver à une profusion magique au moment de la guerre, imitant en cela l’admirable gouvernement anglais qui, en temps de paix, a deux cents vaisseaux, mais dont les chantiers peuvent au besoin en fournir le double quand il s’agit d’embrasser les mers et de s’emparer d’une marine tout entière.

Quand un homme appartient au petit nombre de ceux qu’une éducation généreuse investit du domaine de la pensée, il devrait toujours, avant de se marier, consulter ses forces et physiques et morales. Pour lutter avec avantage contre les tempêtes que tant de séductions s’apprêtent à élever dans le cœur de sa femme, un mari doit avoir, outre la science du plaisir et une fortune qui lui permette de ne se trouver dans aucune classe de prédestinés, une santé robuste, un tact exquis, beaucoup d’esprit, assez de bon sens pour ne faire sentir sa supériorité que dans les circonstances opportunes, et enfin une finesse excessive d’ouïe et de vue.

S’il avait une belle figure, une jolie taille, un air mâle, et qu’il restât en arrière de toutes ces promesses, il rentrerait dans la classe des prédestinés. Aussi un mari laid, mais dont la figure est pleine d’expression, serait-il, si sa femme a oublié une seule fois sa laideur, dans la situation la plus favorable pour combattre le génie du mal.

Il s’étudiera, et c’est un oubli dans la lettre de Sterne, à rester constamment inodore, pour ne pas donner de prise au dégoût. Aussi fera-t-il un médiocre usage des parfums, qui exposent toujours les beautés à d’injurieux soupçons.

Il devra étudier sa conduite, éplucher ses discours comme s’il était le courtisan de la femme la plus inconstante. C’est pour lui qu’un philosophe a fait la réflexion suivante :

« Telle femme s’est rendue malheureuse pour la vie, s’est perdue, s’est déshonorée pour un homme qu’elle a cessé d’aimer parce qu’il a mal ôté son habit, mal coupé un de ses ongles, mis son bas à l’envers, ou s’y est mal pris pour défaire un bouton. »

Un de ses devoirs les plus importants sera de cacher à sa femme la véritable situation de sa fortune, afin de pouvoir satisfaire les fantaisies