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— Mon frère d’Alençon conspire contre moi. Je vois partout des ennemis…

— Monsieur, dit Marie en faisant une adorable petite moue, contez-moi des histoires plus gaies.

— Mon joyau chéri, répliqua vivement le roi, ne me dis jamais monsieur, même en riant ; tu me rappelles ma mère qui me blesse sans cesse avec ce mot, par lequel elle semble m’ôter ma couronne. Elle dit mon fils au duc d’Anjou, c’est-à-dire au roi de Pologne.

Sire, fit Marie en joignant les mains comme si elle eût prié Dieu, il est un royaume où vous êtes adoré, Votre Majesté l’emplit de sa gloire, de sa force et là, le mot monsieur veut dire mon bien-aimé seigneur.

Elle déjoignit les mains, et, par un geste mignon, désigna du doigt son cœur au roi. Ces paroles furent si bien musiquées, pour employer un mot du temps qui peint les mélodies de l’amour, que Charles IX prit Marie par la taille, l’enleva avec cette force nerveuse qui le distinguait, l’assit sur ses genoux, et se frotta doucement le front aux boucles de cheveux que sa maîtresse avait si coquettement arrangées. Marie jugea le moment favorable, elle hasarda quelques baisers que Charles souffrit plutôt qu’il ne les acceptait ; puis, entre deux baisers, elle lui dit : — Si mes gens n’ont pas menti, tu aurais couru Paris pendant toute cette nuit, comme dans le temps où tu faisais des folies en vrai cadet de famille.

— Oui, dit le roi qui resta perdu dans ses pensées.

— N’as-tu pas battu le guet et dévalisé quelques bons bourgeois ? Quels sont donc les gens que l’on m’a donnés à garder, et qui sont si criminels que vous avez défendu d’avoir avec eux la moindre communication ? Jamais fille n’a été verrouillée avec plus de rigueur que ces gens qui n’ont ni bu, ni mangé ; les Allemands de Solern n’ont laissé approcher personne de la chambre où vous les avez mis. Est-ce une plaisanterie, est-ce une affaire sérieuse ?

— Oui, hier au soir, dit le roi en sortant de sa rêverie, je me suis mis à courir sur les toits avec Tavannes et les Gondi ; j’ai voulu avoir les compagnons de mes anciennes folies, mais les jambes ne sont plus les mêmes : nous n’avons osé sauter les rues. Cependant nous avons franchi deux cours en nous élançant d’un toit sur l’autre. À la dernière, arrivés sur un pignon, à deux pas d’ici, serrés à la barre d’une cheminée, nous nous sommes dit, Tavannes