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Pierre, ils se marient rarement, habitués qu’ils sont à jeter, par intervalle, leur fureur sur des Chloris vagabondes ou imaginaires.

Mais les hommes dont le nez est barbouillé de tabac ;

Mais ceux qui, par malheur, sont nés avec une éternelle pituite ;

Mais les maris qui fument ou qui chiquent ;

Mais les gens auxquels un caractère sec et bilieux donne toujours l’air d’avoir mangé une pomme aigre ;

Mais les hommes qui, dans la vie privée, ont quelques habitudes cyniques, quelques pratiques ridicules, qui gardent, malgré tout, un air de malpropreté ;

Mais les maris qui obtiennent le nom déshonorant de chauffe-la-couche ;

Enfin, les vieillards qui épousent de jeunes personnes.

Tous ces gens-là sont les prédestinés par excellence !

Il est une dernière classe de prédestinés dont l’infortune est encore presque certaine. Nous voulons parler des hommes inquiets et tracassiers, tatillons et tyranniques, qui ont je ne sais quelles idées de domination domestique, qui pensent ouvertement mal des femmes et qui n’entendent pas plus la vie que les hannetons ne connaissent l’histoire naturelle. Quand ces hommes-là se marient, leurs ménages ont l’air de ces guêpes auxquelles un écolier a tranché la tête et qui voltigent çà et là sur une vitre. Pour cette sorte de prédestinés ce livre est lettres closes. Nous n’écrivons pas plus pour ces imbéciles statues ambulantes, qui ressemblent à des sculptures de cathédrale, que pour les vielles machines de Marly qui ne peuvent plus élever d’eau dans les bosquets de Versailles sans être menacées d’une dissolution subite.

Je vais rarement observer dans les salons les singularités conjugales qui y fourmillent, sans avoir présent à la mémoire un spectacle dont j’ai joui dans ma jeunesse.

En 1819, j’habitais une chaumière au sein de la délicieuse vallée de l’Isle-Adam. Mon ermitage était voisin du parc de Cassan, la plus suave retraite, la plus voluptueuse à voir, la plus coquette pour le promeneur, la plus humide en été de toutes celles que le luxe et l’art ont créées. Cette verte chartreuse est due à un fermier-général du bon vieux temps, un certain Bergeret, homme célèbre par son originalité, et qui, entre autres héliogabaleries, allait à l’opéra, les cheveux poudrés d’or, illuminait pour lui seul son parc ou se