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dés à mordre, mordant et ne demandant qu’à marcher fort et ferme dans le chemin du paradis.

Les observations déjà faites nous autorisent à séparer de cette masse un million de maris. Supposons un moment que, satisfaits et toujours heureux comme notre mari-modèle, ceux-là se contentent de l’amour conjugal.

Mais notre masse de deux millions de célibataires n’a pas besoin de cinq sous de rente pour faire l’amour ;

Mais il suffit à un homme d’avoir bon pied, bon œil, pour décrocher le portrait d’un mari ;

Mais il n’est pas nécessaire qu’il ait une jolie figure, ni même qu’il soit bien fait ;

Mais pourvu qu’un homme ait de l’esprit, une figure distinguée et de l’entregent, les femmes ne lui demandent jamais d’où il sort, mais où il veut aller ;

Mais les bagages de l’amour sont les charmes de la jeunesse ;

Mais un habit dû à Buisson, une paire de gants prise chez Boivin, des bottes élégantes que l’industriel tremble d’avoir fournies, une cravate bien nouée, suffisent à un homme pour devenir le roi d’un salon ;

Mais enfin les militaires, quoique l’engouement pour la graine d’épinards et l’aiguillette soit bien tombé, les militaires ne forment-ils pas déjà à eux seuls une redoutable légion de célibataires ?…

Sans parler d’Éginhard, puisque c’était un secrétaire particulier, un journal n’a-t-il pas rapporté dernièrement qu’une princesse d’Allemagne avait légué sa fortune à un simple lieutenant des cuirassiers de la garde impériale ?

Mais le notaire du village qui, au fond de la Gascogne, ne passe que trente-six actes par an, envoie son fils faire son Droit à Paris ; le bonnetier veut que son fils soit notaire ; l’avoué destine le sien à la magistrature ; le magistrat veut être ministre pour doter ses enfants de la pairie. À aucune époque du monde il n’y a eu si brûlante soif d’instruction. Aujourd’hui ce n’est plus l’esprit qui court les rues, c’est le talent. Par toutes les crevasses de notre état social sortent de brillantes fleurs, comme le printemps en fait éclore sur les murs en ruines ; dans les caveaux même, il s’échappe d’entre les voûtes des touffes à demi colorées qui verdiront, pour peu que le soleil de l’Instruction y pénètre. Depuis cet immense développement de la pensée, depuis cette égale et féconde dispersion de lumière,