Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sang furent comme de vieux haillons aux yeux des deux Proscrits. — Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? leur cria Wilfrid. Ils ne répondirent pas. — Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? Ils ne répondirent pas. Wilfrid leur imposa les mains en leur criant : — Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? Par un mouvement unanime, tous entr’ouvrirent leurs robes et laissèrent voir des corps desséchés, rongés par des vers, corrompus, pulvérisés, travaillés par d’horribles maladies.

— Vous conduisez les nations à la mort, leur dit Wilfrid. Vous avez adultéré la terre, dénaturé la parole, prostitué la justice. Après avoir mangé l’herbe des pâturages, vous tuez maintenant les brebis ? Vous croyez-vous justifiés en montrant vos plaies ? Je vais avertir ceux de mes frères qui peuvent encore entendre la Voix, afin qu’ils puissent aller s’abreuver aux sources que vous avez cachées.

— Réservons nos forces pour prier, lui dit Minna ; tu n’as ni la mission des Prophètes, ni celle du Réparateur, ni celle du Messager. Nous ne sommes encore que sur les confins de la première sphère, essayons de franchir les espaces sur les ailes de la prière.

— Tu seras tout mon amour !

— Tu seras toute ma force !

— Nous avons entrevu les Hauts Mystères, nous sommes l’un pour l’autre le seul être ici-bas avec lequel la joie et la tristesse soient compréhensibles ; prions donc, nous connaissons le chemin, marchons.

— Donne-moi la main, dit la Jeune Fille, si nous allons toujours ensemble, la voie me sera moins rude et moins longue.

— Avec toi, seulement, répondit l’Homme, je pourrai traverser la grande solitude, sans me permettre une plainte.

— Et nous irons ensemble au Ciel, dit-elle.

Les nuées vinrent et formèrent un dais sombre. Tout à coup, les deux amants se trouvèrent agenouillés devant un corps que le vieux David défendait contre la curiosité de tous, et qu’il voulut ensevelir lui-même.

Au dehors, éclatait dans sa magnificence le premier été du dix-neuvième siècle. Les deux amants crurent entendre une voix dans les rayons du soleil. Ils respirèrent un esprit céleste dans les fleurs nouvelles, et se dirent en se tenant par la main : — L’immense