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Je vais vous laisser les clefs du royaume où brille sa lumière, où vous serez partout dans le sein du Père, dans le cœur de l’Époux. Aucune sentinelle n’en défend les approches, vous pouvez y entrer de tous côtés ; son palais, ses trésors, son sceptre, rien n’est gardé ; il a dit à tous : Prenez-les ! Mais il faut vouloir y aller. Comme pour faire un voyage, il est nécessaire de quitter sa demeure, de renoncer à ses projets, de dire adieu à ses amis, à son père, à sa mère, à sa sœur, et même au plus petit des frères qui crie, et leur dire des adieux éternels, car vous ne reviendrez pas plus que les martyrs en marche vers le bûcher ne retournaient au logis ; enfin, il faut vous dépouiller des sentiments et des choses auxquels tiennent les hommes, sans quoi vous ne seriez pas tout entiers à votre entreprise. Faites pour Dieu ce que vous faisiez pour vos desseins ambitieux, ce que vous faites en vous vouant à un art, ce que vous avez fait quand vous aimiez une créature plus que lui, ou quand vous poursuiviez un secret de la science humaine. Dieu n’est-il pas la science même, l’amour même, la source de toute poésie ? son trésor ne peut-il exciter la cupidité ? Son trésor est inépuisable, sa poésie est infinie, son amour est immuable, sa science est infaillible et sans mystères ! Ne tenez donc à rien, il vous donnera tout. Oui, vous retrouverez dans son cœur des biens incomparables à ceux que vous aurez perdus sur la terre. Ce que je vous dis est certain : vous aurez sa puissance, vous en userez comme vous usez de ce qui est à votre amant ou à votre maîtresse. Hélas ! la plupart des hommes doutent, manquent de foi, de volonté, de persévérance. Si quelques-uns se mettent en route, ils viennent aussitôt à regarder derrière eux, et reviennent. Peu de créatures savent choisir entre ces deux extrêmes : ou rester ou partir, ou la fange ou le ciel. Chacun hésite. La faiblesse commence l’égarement, la passion entraîne dans la mauvaise voie, le vice, qui est une habitude, y embourbe ; et l’homme ne fait aucun progrès vers les états meilleurs. Tous les êtres passent une première vie dans la sphère des Instincts où ils travaillent à reconnaître l’inutilité des trésors terrestres après s’être donné mille peines pour les amasser. Combien de fois vit-on dans ce premier monde avant d’en sortir préparé pour recommencer d’autres épreuves dans la sphère des Abstractions où la pensée s’exerce en de fausses sciences, où l’esprit se lasse enfin de la parole humaine ; car la Matière épuisée, vient l’Esprit. Combien de formes l’être promis au ciel a-t-il usées, avant d’en venir à com-