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Wilfrid s’accrut ainsi par l’irritation que cause le voisinage d’une femme aimée qui ne se montre pas. Quand cet être inexprimable reçut Minna, Minna reconnut en lui les ravages d’un feu intérieur : sa voix était devenue profonde, son teint commençait à blondir ; et, si jusque-là les poètes en eussent comparé la blancheur à celle des diamants, elle avait alors l’éclat des topazes.

— Vous l’avez vue ? dit Wilfrid qui rôdait autour du château suédois et qui attendait le retour de Minna.

— Nous allons le perdre, répondit la jeune fille dont les yeux se remplirent de larmes.

— Mademoiselle, s’écria l’étranger en réprimant le volume de voix qu’excite la colère, ne vous jouez pas de moi. Vous ne pouvez aimer Séraphîta que comme une jeune fille en aime une autre, et non de l’amour qu’elle m’inspire. Vous ignorez quel serait votre danger si ma jalousie était justement alarmée. Pourquoi ne puis-je aller près d’elle ? Est-ce vous qui me créez des obstacles ?

— J’ignore, répondit Minna calme en apparence, mais en proie à une profonde terreur, de quel droit vous sondez ainsi mon cœur ? Oui, je l’aime, dit-elle en retrouvant la hardiesse des convictions pour confesser la religion de son cœur. Mais ma jalousie, si naturelle à l’amour, ne redoute ici personne. Hélas ! je suis jalouse d’un sentiment caché qui l’absorbe. Il est entre lui et moi des espaces que je ne saurais franchir. Je voudrais savoir qui des étoiles ou de moi l’aime mieux, qui de nous se dévouerait plus promptement à son bonheur ? Pourquoi ne serais-je pas libre de déclarer mon affection ? En présence de la mort, nous pouvons avouer nos préférences, et, monsieur, Séraphîtüs va mourir.

— Minna, vous vous trompez, la sirène que j’ai si souvent baignée de mes désirs, et qui se laissait admirer coquettement étendue sur son divan, gracieuse, faible et dolente, n’est pas un jeune homme.

— Monsieur, répondit Minna troublée, celui dont la main puissante m’a guidée sur le Falberg, à ce sœler abrité par le Bonnet de Glace ; là, dit-elle en montrant le haut du pic, n’est pas non plus une faible jeune fille. Ah ! si vous l’aviez entendu prophétisant ! Sa poésie était la musique de la pensée. Une jeune fille n’eût pas déployé les sons graves de la voix qui me remuait l’âme.

— Mais quelle certitude avez-vous ?… dit Wilfrid.