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pas, vous dira le Croyant. Comme l’Unité, il commence des Nombres avec lesquels il n’a rien de commun. L’existence du Nombre dépend de l’Unité qui, sans être un Nombre, les engendre tous. Dieu, cher pasteur, est une magnifique Unité qui n’a rien de commun avec ses créations, et qui néanmoins les engendre ! Convenez donc avec moi que vous ignorez aussi bien où commence, où finit le Nombre, que vous ignorez où commence, où finit l’Éternité créée ? Pourquoi, si vous croyez au Nombre, niez-vous Dieu ? la Création n’est-elle pas placée entre l’infini des substances inorganisées et l’infini des sphères divines, comme l’Unité se trouve entre l’infini des fractions que vous nommez depuis peu les Décimales, et l’infini des Nombres que vous nommez les Entiers ! Vous seul sur la terre comprenez le Nombre, cette première marche du péristyle qui mène à Dieu, et déjà votre raison y trébuche. Hé ! quoi ? vous ne pouvez ni mesurer la première abstraction que Dieu vous a livrée, ni la saisir, et vous voulez soumettre à votre mesure les fins de Dieu ? Que serait-ce donc si je vous plongeais dans les abîmes du Mouvement, cette force qui organise le Nombre ? Ainsi quand je vous dirais que l’univers n’est que Nombre et Mouvement, vous voyez que déjà nous parlerions un langage différent. Je comprends l’un et l’autre, et vous ne les comprenez point. Que serait-ce si j’ajoutais que le Mouvement et le Nombre sont engendrés par la Parole ? Ce mot, la raison suprême des Voyants et des Prophètes qui jadis entendirent ce souffle de Dieu sous lequel tomba saint Paul, vous vous en moquez, vous hommes de qui cependant toutes les œuvres visibles, les sociétés, les monuments, les actes, les passions procèdent de votre faible parole ; et qui sans le langage ressembleriez à cette espèce si voisine du nègre, à l’homme des bois. Vous croyez donc fermement au Nombre et au Mouvement, force et résultat inexplicables, incompréhensibles à l’existence desquels je puis appliquer le dilemme qui vous dispensait naguère de croire en Dieu. Vous, si puissant raisonneur, ne me dispenserez-vous point de vous démontrer que l’Infini doit être partout semblable à lui-même, et qu’il est nécessairement un. Dieu seul est infini, car certes il ne peut y avoir deux infinis. Si, pour se servir des mots humains, quelque chose qui soit démontrée ici-bas, vous semble infinie, soyez certain d’y entrevoir une des faces de Dieu. Poursuivons. Vous vous êtes approprié une place dans l’infini du Nombre, vous l’avez accommodée à