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— Oui, chère Séraphîta, répondit Wilfrid ; mais ce désir n’est-il pas naturel à des hommes ?

— Voulez-vous donc ennuyer cet enfant ? dit-elle en posant la main sur les cheveux de Minna par un geste caressant.

La jeune fille leva les yeux et parut vouloir se fondre en lui.

— La parole est le bien de tous, reprit gravement l’être mystérieux. Malheur à qui garderait le silence au milieu du désert en croyant n’être entendu de personne : tout parle et tout écoute ici-bas. La parole meut les mondes. Je souhaite, monsieur Becker, ne rien dire en vain. Je connais les difficultés qui vous occupent le plus : ne serait-ce pas un miracle que d’embrasser tout d’abord le passé de votre conscience ? Eh ! bien, le miracle va s’accomplir. Écoutez moi. Vous ne vous êtes jamais avoué vos doutes dans toute leur étendue ; moi seule, inébranlable dans ma foi, je puis vous les dire, et vous effrayer de vous-même. Vous êtes du côté le plus obscur du Doute ; vous ne croyez pas en Dieu, et toute chose ici-bas devient secondaire pour qui s’attaque au principe des choses. Abandonnons les discussions creusées sans fruit par de fausses philosophies. Les générations spiritualistes n’ont pas fait moins de vains efforts pour nier la Matière que n’en ont tenté les générations matérialistes pour nier l’Esprit. Pourquoi ces débats ? L’homme n’offrait-il pas à l’un et à l’autre système des preuves irrécusables ? ne se rencontre-t-il pas en lui des choses matérielles et des choses spirituelles ? Un fou seul peut se refuser à voir un fragment de matière dans le corps humain ; en le décomposant, vos sciences naturelles y trouvent peu de différence entre ses principes et ceux des autres animaux. L’idée que produit en l’homme la comparaison de plusieurs objets ne semble non plus à personne être dans le domaine de la Matière. Ici, je ne me prononce pas, il s’agit de vos doutes et non de mes certitudes À vous, comme à la plupart des penseurs, les rapports que vous avez la faculté de découvrir entre les choses dont la réalité vous est attestée par vos sensations ne semblent point devoir être matériels. L’univers Naturel des choses et des êtres se termine donc en l’homme par l’univers Surnaturel des similitudes ou des différences qu’il aperçoit entre les innombrables formes de la Nature, relations si multipliées qu’elles paraissent infinies ; car si, jusqu’à présent, nul n’a pu dénombrer les seules créations terrestres, quel homme pourrait en énumérer les rapports ? La fraction que vous en connaissez n’est-elle pas à