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phes de sa main, une pensée, un sentiment les écrase. L’Esprit peut rassembler autour de l’homme et dans l’homme de plus vives lumières, lui faire entendre de plus mélodieuses harmonies, asseoir sur les nuées de brillantes constellations qu’il interroge. Le Cœur peut plus encore ! L’homme peut se trouver face à face avec une seule créature, et trouver dans un seul mot, dans un seul regard, un faix si lourd à porter, d’un éclat si lumineux, d’un son si pénétrant, qu’il succombe et s’agenouille. Les plus réelles magnificences ne sont pas dans les choses, elles sont en nous-mêmes. Pour le savant, un secret de science n’est-il pas un monde entier de merveilles ? Les trompettes de la Force, les brillants de la Richesse, la musique de la Joie, un immense concours d’hommes accompagne-t-il sa fête ? Non, il va dans quelque réduit obscur, où souvent un homme pâle et souffrant lui dit un seul mot à l’oreille. Ce mot, comme une torche jetée dans un souterrain, lui éclaire les Sciences. Toutes les idées humaines, habillées des plus attrayantes formes qu’ait inventées le Mystère, entouraient un aveugle assis dans la fange au bord d’un chemin. Les trois mondes, le Naturel, le Spirituel et le Divin, avec toutes leurs sphères, se découvraient à un pauvre proscrit florentin : il marchait accompagné des Heureux et des Souffrants, de ceux qui priaient et de ceux qui criaient, des anges et des damnés. Quand l’envoyé de Dieu, qui savait et pouvait tout, apparut à trois de ses disciples, ce fut un soir, à la table commune de la plus pauvre des auberges ; en ce moment la lumière éclata, brisa les Formes Matérielles, éclaira les Facultés Spirituelles, ils le virent dans sa gloire, et la terre ne tenait déjà plus à leurs pieds que comme une sandale qui s’en détachait.

Monsieur Becker, Wilfrid et Minna se sentaient agités de crainte en allant chez l’être extraordinaire qu’ils s’étaient proposé d’interroger, Pour chacun d’eux le château suédois agrandi comportait un spectacle gigantesque, semblable à ceux dont les masses et les couleurs sont si savamment, si harmonieusement disposées par les poètes, et dont les personnages, acteurs imaginaires pour les hommes, sont réels pour ceux qui commencent à pénétrer dans le Monde Spirituel. Sur les gradins de ce colysée, monsieur Becker asseyait les grises légions du doute, ses sombres idées, ses vicieuses formules de dispute ; il y convoquait les différents mondes philosophiques et religieux qui se combattent, et qui tous apparaissent