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d’Amour, et vous, monsieur, en vous faisant un Esprit de Sagesse ?

Il but un verre de bière, et ne s’aperçut pas du singulier regard que Wilfrid jeta sur Minna.

— Plaisanterie à part, reprit le ministre, j’ai été fort surpris d’apprendre qu’aujourd’hui, pour la première fois, ces deux folles seraient allées sur le sommet du Falberg ; mais n’est-ce pas une exagération de jeunes filles qui seront montées sur quelque colline ? il est impossible d’atteindre à la cime du Falberg.

— Mon père, dit Minna d’une voix émue, j’ai donc été sous le pouvoir du démon, car j’ai gravi le Falberg avec lui.

— Voilà qui devient sérieux, dit monsieur Becker ; Minna n’a jamais menti.

— Monsieur Becker, reprit Wilfrid, je vous affirme que Séraphîta exerce sur moi des pouvoirs si extraordinaires, que je ne sais aucune expression qui puisse en donner une idée. Elle m’a révélé des choses que moi seul je puis connaître.

— Somnambulisme ! dit le vieillard. D’ailleurs, plusieurs effets de ce genre sont rapportés par Jean Wier comme des phénomènes fort explicables et jadis observés en Égypte.

— Confiez-moi les œuvres théosophiques de Swedenborg, dit Wilfrid, je veux me plonger dans ces gouffres de lumière, vous m’en avez donné soif.

Monsieur Becker tendit un volume à Wilfrid, qui se mit à lire aussitôt. Il était environ neuf heures du soir. La servante vint servir le souper. Minna fit le thé. Le repas fini, chacun d’eux resta silencieusement occupé, le pasteur à lire le Traité des Incantations, Wilfrid à saisir l’esprit de Swedenborg, la jeune fille à coudre en s’abîmant dans ses souvenirs. Ce fut une veillée de Norwége, une soirée paisible, studieuse, pleine de pensées, des fleurs sous de la neige. En dévorant les pages du prophète, Wilfrid n’existait plus que par ses sens intérieurs. Parfois, le pasteur le montrait d’un air moitié sérieux, moitié railleur à Minna qui souriait avec une sorte de tristesse. Pour Minna, la tête de Séraphîtüs lui souriait en planant sur le nuage de fumée qui les enveloppait tous trois. Minuit sonna. La porte extérieure fut violemment ouverte. Des pas pesants et précipités, les pas d’un vieillard effrayé, se firent entendre dans l’espèce d’antichambre étroite qui se trouvait entre les deux portes. Puis, tout à coup, David se montra dans le parloir.