Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coquillages de la Norwége. Ces curiosités, habilement disposées sur le fond jaune du sapin qui boisait les murs, y formaient une riche tapisserie à laquelle la fumée de tabac avait imprimé ses teintes fuligineuses. Au fond, en face de la porte principale, s’élevait un poêle énorme en fer forgé qui, soigneusement frotté par la servante, brillait comme s’il eût été d’acier poli. Assis dans un grand fauteuil en tapisserie, près de ce poêle, devant une table, et les pieds dans une espèce de chancelière, monsieur Becker lisait un in-folio placé sur d’autres livres comme sur un pupitre ; à sa gauche étaient un broc de bière et un verre ; à sa droite brûlait une lampe fumeuse entretenue par de l’huile de poisson. Le ministre paraissait âgé d’une soixantaine d’années. Sa figure appartenait à ce type affectionné par les pinceaux de Rembrandt : c’était bien ces petits yeux vifs, enchâssés par des cercles de rides et surmontés d’épais sourcils grisonnants, ces cheveux blancs qui s’échappent en deux lames floconneuses de dessous un bonnet de velours noir, ce front large et chauve, cette coupe de visage que l’ampleur du menton rend presque carrée ; puis ce calme profond qui dénote à l’observateur une puissance quelconque, la royauté que donne l’argent, le pouvoir tribunitien du bourgmestre, la conscience de l’art, ou la force cubique de l’ignorance heureuse. Ce beau vieillard, dont l’embonpoint annonçait une santé robuste, était enveloppé dans sa robe de chambre en drap grossier simplement orné de la lisière. Il tenait gravement à sa bouche une longue pipe en écume de mer, et lâchait par temps égaux la fumée du tabac en en suivant d’un œil distrait les fantasques tourbillons, occupé sans doute à s’assimiler par quelque méditation digestive les pensées de l’auteur dont les œuvres l’occupaient. De l’autre côté du poêle et près d’une porte qui communiquait à la cuisine, Minna se voyait indistinctement dans le brouillard produit par la fumée, à laquelle elle paraissait habituée. Devant elle, sur une petite table, étaient les ustensiles nécessaires à une ouvrière : une pile de serviettes, des bas à raccommoder, et une lampe semblable à celle qui faisait reluire les pages blanches du livre dans lequel son père semblait absorbé. Sa figure fraîche à laquelle des contours délicats imprimaient une grande pureté s’harmoniait avec la candeur exprimée sur son front blanc et dans ses yeux clairs. Elle se tenait droit sur sa chaise en se penchant un peu vers la lumière pour y mieux voir, et montrait à son insu la beauté de son corsage. Elle était déjà vêtue pour la