Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous feront imaginer de plus cruel à supporter ; mais, ma bien-aimée, ne mettez pas en doute mon amour. Vous prenez Minna comme une hache, et m’en frappez à coups redoublés. Grâce !

— Pourquoi me dire de telles paroles, mon ami, quand vous les savez inutiles ? répondit-elle en lui jetant des regards qui finissaient par devenir si doux que Wilfrid ne voyait plus les yeux de Séraphîta, mais une fluide lumière dont les tremblements ressemblaient aux dernières vibrations d’un chant plein de mollesse italienne.

— Ah ! l’on ne meurt pas d’angoisse, dit-il.

— Vous souffrez ? reprit-elle d’une voix dont les émanations produisaient au cœur de cet homme un effet semblable à celui des regards. Que puis-je pour vous ?

— Aimez-moi comme je vous aime.

— Pauvre Minna ! répondit-elle.

— Je n’apporte jamais d’armes, cria Wilfrid.

— Vous êtes d’une humeur massacrante, fit en souriant Séraphîta. N’ai-je pas bien dit ces mots comme ces Parisiennes de qui vous me racontez les amours ?

Wilfrid s’assit, se croisa les bras, et contempla Séraphîta d’un air sombre.

— Je vous pardonne, dit-il, car vous ne savez ce que vous faites.

— Oh ! reprit-elle, une femme, depuis Ève, a toujours fait sciemment le bien et le mal.

— Je le crois, dit-il.

— J’en suis sûre, Wilfrid. Notre instinct est précisément ce qui nous rend si parfaites. Ce que vous apprenez, vous autres, nous le sentons, nous.

— Pourquoi ne sentez-vous pas alors combien je vous aime.

— Parce que vous ne m’aimez pas.

— Grand Dieu !

— Pourquoi donc vous plaignez-vous de vos angoisses ? demanda-t-elle.

— Vous êtes terrible ce soir, Séraphîta. Vous êtes un vrai démon.

— Non, je suis douée de la faculté de comprendre, et c’est affreux. La douleur, Wilfrid, est une lumière qui nous éclaire la vie.

— Pourquoi donc alliez-vous sur le Falberg ?

— Minna vous le dira, moi je suis trop lasse pour parler. À vous la parole, à vous qui savez tout, qui avez tout appris et n’avez rien