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Le lendemain, je partis pour Villenoix. Le bonhomme m’accompagna jusqu’à la porte de Blois. Quand nous fûmes dans le chemin qui mène à Villenoix, il s’arrêta pour me dire : — Vous pensez bien que je n’y vais point. Mais, vous, n’oubliez pas ce que je vous ai dit. En présence de mademoiselle de Villenoix, n’ayez pas l’air de vous apercevoir que Louis est fou.

Il resta sans bouger à la place où je venais de le quitter, et d’où il me regarda jusqu’à ce qu’il m’eût perdu de vue. Je ne cheminai pas sans de profondes émotions vers le château de Villenoix. Mes réflexions croissaient à chaque pas dans cette route que Louis avait tant de fois faite, le cœur plein d’espérance, l’âme exaltée par tous les aiguillons de l’amour. Les buissons, les arbres, les caprices de cette route tortueuse dont les bords étaient déchirés par de petits ravins, acquirent un intérêt prodigieux pour moi. J’y voulais retrouver les impressions et les pensées de mon pauvre camarade. Sans doute ces conversations du soir, au bord de cette brèche où sa maîtresse venait le retrouver, avaient initié mademoiselle de Villenoix aux secrets de cette âme et si noble et si vaste, comme je le fus moi-même quelques années auparavant. Mais le fait qui me préoccupait le plus, et donnait à mon pèlerinage un immense intérêt de curiosité parmi les sentiments presque religieux qui me guidaient, était cette magnifique croyance de mademoiselle de Villenoix que le bonhomme m’avait expliquée : avait-elle, à la longue, contracté la folie de son amant, ou était-elle entrée si avant dans son âme, qu’elle en pût comprendre toutes les pensées, même les plus confuses ? Je me perdais dans cet admirable problème de sentiment qui dépassait les plus belles inspirations de l’amour et ses dévouements les plus beaux. Mourir l’un pour l’autre est un sacrifice presque vulgaire. Vivre fidèle à un seul amour est un héroïsme qui a rendu mademoiselle Dupuis immortelle. Lorsque Napoléon-le-Grand et lord Byron ont eu des successeurs là où ils avaient aimé, il est permis d’admirer cette veuve de Bolingbroke ; mais mademoiselle Dupuis pouvait vivre par les souvenirs de plusieurs années de bonheur, tandis que mademoiselle de Villenoix, n’ayant connu de l’amour que ses premières émotions, m’offrait le type du dévouement dans sa plus large expression. Devenue presque folle, elle était sublime ; mais comprenant, expliquant la folie, elle ajoutait aux beautés d’un grand cœur un chef-d’œuvre de passion digne d’être étudié. Lorsque j’aperçus les hautes tourelles du château,