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où je ne te connaissais pas ? Ce serait le néant, si je n’avais pas été si malheureux. »

FRAGMENT.

« Ange aimé, quelle douce soirée que celle d’hier ! Combien de richesses dans ton cher cœur ? ton amour est donc inépuisable, comme le mien. Chaque mot m’apportait de nouvelles joies, et chaque regard en étendait la profondeur. L’expression calme de ta physionomie donnait un horizon sans bornes à nos pensées. Oui, tout était alors infini comme le ciel, et doux comme son azur. La délicatesse de tes traits adorés se reproduisait, je ne sais par quelle magie, dans tes gentils mouvements, dans tes gestes menus. Je savais bien que tu étais tout grâce et tout amour, mais j’ignorais combien tu étais diversement gracieuse. Tout s’accordait à me conseiller ces voluptueuses sollicitations, à me faire demander ces premières grâces qu’une femme refuse toujours, sans doute pour se les laisser ravir. Mais non, toi, chère âme de ma vie, tu ne sauras jamais d’avance ce que tu pourras accorder à mon amour, et tu te donneras sans le vouloir peut-être ! Tu es vraie, et n’obéis qu’à ton cœur. Comme la douceur de ta voix s’alliait aux tendres harmonies de l’air pur et des cieux tranquilles ! Pas un cri d’oiseau, pas une brise ; la solitude et nous ! Les feuillages immobiles ne tremblaient même pas dans ces admirables couleurs du couchant qui sont tout à la fois ombre et lumière. Tu as senti ces poésies célestes, toi qui unissais tant de sentiments divers, et reportais si souvent tes yeux vers le ciel pour ne pas me répondre ! Toi, fière et rieuse, humble et despotique, te donnant tout entière en âme, en pensée, et te dérobant à la plus timide des caresses ! Chères coquetteries du cœur ! elles vibrent toujours dans mon oreille, elles s’y roulent et s’y jouent encore, ces délicieuses paroles à demi bégayées comme celles des enfants, et qui n’étaient ni des promesses, ni des aveux, mais qui laissaient à l’amour ses belles espérances sans craintes et sans tourments ! Quel chaste souvenir dans la vie ! Quel épanouissement de toutes les fleurs qui naissent au fond de l’âme, et qu’un rien peut flétrir, mais qu’alors tout animait et fécondait ! Ce sera toujours ainsi, n’est-ce pas, mon aimée ? En me rappelant, au matin, les vives et fraîches douceurs qui sourdirent en ce moment, je me sens dans l’âme un bonheur qui me fait con-