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role qui me rende la paix du cœur. Que je sache si j’ai contristé ma Pauline, ou si quelque douteuse expression de ton visage m’a trompé. Je ne voudrais pas avoir à me reprocher, après toute une vie heureuse, d’être venu vers toi sans un sourire plein d’amour, sans une parole de miel. Affliger la femme que l’on aime ! pour moi, Pauline, c’est un crime. Dis-moi la vérité, ne me fais pas quelque généreux mensonge, mais désarme ton pardon de toute cruauté. »

FRAGMENT.

« Un attachement si complet est-il un bonheur ? Oui, car des années de souffrance ne paieraient pas une heure d’amour. Hier, ton apparente tristesse a passé dans mon âme avec la rapidité d’une ombre qui se projette. Étais-tu triste ou souffrais-tu ? J’ai souffert. D’où venait ce chagrin ? Écris-moi vite. Pourquoi ne l’ai-je pas deviné ? Nous ne sommes donc pas encore complétement unis par la pensée ? Je devrais, à deux lieues de toi comme à mille, ressentir tes peines et tes douleurs. Je ne croirai pas t’aimer tant que ma vie ne sera pas assez intimement liée à la tienne pour que nous ayons la même vie, le même cœur, la même idée. Je dois être où tu es, voir ce que tu vois, ressentir ce que tu ressens, et te suivre par la pensée. N’ai-je pas déjà su, le premier, que ta voiture avait versé, que tu étais meurtrie ? Mais aussi ce jour-là, ne t’avais-je pas quittée, je te voyais. Quand mon oncle m’a demandé pourquoi je pâlissais, je lui ai dit : « Mademoiselle de Villenoix vient de tomber ! » Pourquoi donc n’ai-je pas lu dans ton âme, hier ? Voulais-tu me cacher la cause de ce chagrin ? Cependant j’ai cru deviner que tu avais fait en ma faveur quelques efforts malheureux auprès de ce redoutable Salomon qui me glace. Cet homme n’est pas de notre ciel. Pourquoi veux-tu que notre bonheur, qui ne ressemble en rien à celui des autres, se conforme aux lois du monde ? Mais j’aime trop tes mille pudeurs, ta religion, tes superstitions, pour ne pas obéir à tes moindres caprices. Ce que tu fais doit être bien ; rien n’est plus pur que ta pensée, comme rien n’est plus beau que ton visage où se réfléchit ton âme divine. J’attendrai ta lettre avant d’aller par les chemins chercher le doux moment que tu m’accordes. Ah ! si tu savais combien l’aspect des tourelles me fait palpiter, quand enfin je les vois bordées de lueur par la lune, notre amie, notre seule confidente. »