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bonne sphère. Si j’avais beaucoup de ces moments affreux, si mon amour sans bornes ne savait pas racheter les heures mauvaises de ma vie, si j’étais destiné à demeurer tel que je suis ?… Fatales questions ! la puissance est un bien fatal présent, si toutefois ce que je sens en moi est la puissance. Pauline, éloigne-toi de moi, abandonne-moi ! je préfère souffrir tous les maux de la vie à la douleur de te savoir malheureuse par moi. Mais peut-être le démon n’a-t-il pris autant d’empire sur mon âme que parce qu’il ne s’est point encore trouvé près de moi de mains douces et blanches pour le chasser. Jamais une femme ne m’a versé le baume de ses consolations, et j’ignore si, lorsqu’en ces moments de lassitude, l’amour agitera ses ailes au-dessus de ma tête, il ne répandra pas dans mon cœur de nouvelles forces. Peut-être ces cruelles mélancolies sont-elles un fruit de ma solitude, une des souffrances de l’âme abandonnée qui gémit et paie ses trésors par des douleurs inconnues. Aux légers plaisirs, les légères souffrances ; aux immenses bonheurs, des maux inouïs. Quel arrêt ! S’il était vrai, ne devons-nous pas frissonner pour nous, qui sommes surhumainement heureux. Si la nature nous vend les choses selon leur valeur, dans quel abîme allons-nous donc tomber ? Ah ! les amants les plus richement partagés sont ceux qui meurent ensemble au milieu de leur jeunesse et de leur amour ! Quelle tristesse ! Mon âme pressent-elle un méchant avenir ? Je m’examine, et me demande s’il se trouve quelque chose en moi qui doive t’apporter le plus léger souci ? Je t’aime peut-être en égoïste ? Je mettrai peut-être sur ta chère tête un fardeau plus pesant que ma tendresse ne sera douce à ton cœur. S’il existe en moi quelque puissance inexorable à laquelle j’obéis, si je dois maudire quand tu joindras les mains pour prier, si quelque triste pensée me domine lorsque je voudrai me mettre à tes pieds pour jouer avec toi comme un enfant, ne seras-tu pas jalouse de cet exigeant et fantasque génie ? Comprends-tu bien, cœur à moi, que j’ai peur de n’être pas tout à toi, que j’abdiquerais volontiers tous les sceptres, toutes les palmes du monde pour faire de toi mon éternelle pensée ; pour voir, dans notre délicieux amour, une belle vie et un beau poème ; pour y jeter mon âme, y engloutir mes forces, et demander à chaque heure les joies qu’elle nous doit ? Mais voilà que reviennent en foule mes souvenirs d’amour, les nuages de ma tristesse vont se dissiper. Adieu. Je te quitte pour être mieux à toi. Mon âme chérie, j’attends un mot, une pa-