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deurs de la terre me semblent à peine dignes de vous, en faveur de qui je voudrais pouvoir disposer des accords et des lumières que prodiguent les harpes des Séraphins et les étoiles dans les cieux. Pauvre studieux poète ! ma parole vous offre des trésors que je n’ai pas, tandis que je ne puis vous donner que mon cœur, où vous régnerez toujours. Là sont tous mes biens. Mais n’existe-t-il donc pas des trésors dans une éternelle reconnaissance, dans un sourire dont les expressions seront incessamment variées par un immuable bonheur, dans l’attention constante de mon amour à deviner les vœux de votre âme aimante ? Un regard céleste ne nous a-t-il pas dit que nous pourrions toujours nous entendre. J’ai donc maintenant une prière à faire tous les soirs à Dieu, prière pleine de vous : — « Faites que ma Pauline soit heureuse ! » Mais ne remplirez-vous donc pas mes jours, comme déjà vous remplissez mon cœur ? Adieu, je ne puis vous confier qu’à Dieu ! »

III.

« Pauline ! dis-moi si j’ai pu te déplaire en quelque chose, hier ? Abjure cette fierté de cœur qui fait endurer secrètement les peines causées par un être aimé. Gronde-moi ! Depuis hier je ne sais quelle crainte vague de t’avoir offensée répand de la tristesse sur cette vie du cœur que tu m’as faite si douce et si riche. Souvent le plus léger voile qui s’interpose entre deux âmes devient un mur d’airain. Il n’est pas de légers crimes en amour ! Si vous avez tout le génie de ce beau sentiment, vous devez en ressentir toutes les souffrances, et nous devons veiller sans cesse à ne pas vous froisser par quelque parole étourdie. Aussi, mon cher trésor, sans doute la faute vient-elle de moi, s’il y a faute. Je n’ai pas l’orgueil de comprendre un cœur de femme dans toute l’étendue de sa tendresse, dans toutes les grâces de ses dévouements ; seulement, je tâcherai de toujours deviner le prix de ce que tu voudras me révéler dans les secrets du tien. Parle-moi, réponds-moi promptement ? La mélancolie dans laquelle nous jette le sentiment d’un tort est bien affreuse, elle enveloppe la vie et fait douter de tout. Je suis resté pendant cette matinée assis sur le bord du chemin creux, voyant les tourelles de Villenoix, et n’osant aller jusqu’à notre haie. Si tu savais tout ce que j’ai vu dans mon âme ! quels tristes fantômes ont passé devant moi, sous ce ciel gris dont le froid aspect aug-