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déduction d’un système général. Ma pensée est de déterminer les rapports réels qui peuvent exister entre l’homme et Dieu. N’est-ce pas une nécessité de l’époque ? Sans de hautes certitudes, il est impossible de mettre un mors à ces sociétés que l’esprit d’examen et de discussion a déchaînées et qui crient aujourd’hui : — Menez-nous dans une voie où nous marcherons sans rencontrer des abîmes ? Vous me demanderez ce que l’anatomie comparée a de commun avec une question si grave pour l’avenir des sociétés. Ne faut-il pas se convaincre que l’homme est le but de tous les moyens terrestres pour se demander s’il ne sera le moyen d’aucune fin ? Si l’homme est lié à tout, n’y a-t-il rien au-dessus de lui, à quoi il se lie à son tour ? S’il est le terme des transmutations inexpliquées qui montent jusqu’à lui, ne doit-il pas être le lien entre la nature visible et une nature invisible ? L’action du monde n’est pas absurde, elle aboutit à une fin, et cette fin ne doit pas être une société constituée comme l’est la nôtre. Il se rencontre une terrible lacune entre nous et le ciel. En l’étal actuel, nous ne pouvons ni toujours jouir, ni toujours souffrir ; ne faut-il pas un énorme changement pour arriver au paradis et à l’enfer, deux conceptions sans lesquelles Dieu n’existe pas aux yeux de la masse ? Je sais qu’on s’est tiré d’affaire en inventant l’âme ; mais j’ai quelque répugnance à rendre Dieu solidaire des lâchetés humaines, de nos désenchantements, de nos dégoûts, de notre décadence. Puis comment admettre en nous un principe divin contre lequel quelques verres de rhum puissent prévaloir ? comment imaginer des facultés immatérielles que la matière réduise, dont l’exercice soit enchaîné par un grain d’opium ? Comment imaginer que nous sentirons encore quand nous serons dépouillés des conditions de notre sensibilité ? Pourquoi Dieu périrait-il, parce que la substance serait pensante ? L’animation de la substance et ses innombrables variétés, effets de ses instincts, sont-ils moins inexplicables que les effets de la pensée ? Le mouvement imprimé aux mondes n’est-il pas suffisant pour prouver Dieu, sans aller se jeter dans les absurdités engendrées par notre orgueil ? Que d’une façon d’être périssable, nous allions après nos épreuves à une existence meilleure, n’est-ce pas assez pour une créature qui ne se distingue des autres que par un Instinct plus complet ? S’il n’existe pas en morale un principe qui ne mène à l’absurde, ou ne soit contredit par l’évidence, n’est-il pas temps de se mettre en quête des dogmes écrits au fond