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ver dans la solitude quelque grande œuvre qui flottait indécise dans son cerveau ? Qui ne le croirait volontiers en lisant ce fragment de ses pensées où se trahissent les combats de son âme au moment où cessait pour lui la jeunesse, où commençait à éclore la terrible faculté de produire à laquelle auraient été dues les œuvres de l’homme ? Cette lettre est en rapport avec l’aventure arrivée au théâtre. Le Fait et l’Écrit s’illuminent réciproquement, l’âme et le corps s’étaient mis au même ton. Cette tempête de doutes et d’affirmations, de nuages et d’éclairs qui souvent laisse échapper la foudre, et qui finit par une aspiration affamée vers la lumière céleste, jette assez de clarté sur la troisième époque de son éducation morale pour la faire comprendre en entier. En lisant ces pages écrites au hasard, prises et reprises suivant les caprices de la vie parisienne, ne semble-t-il pas voir un chêne pendant le temps où son accroissement intérieur fait crever sa jolie peau verte, le couvre de rugosités, de fissures, et où se prépare sa forme majestueuse, si toutefois le tonnerre du ciel ou la hache de l’homme le respectent !

À cette lettre finira donc, pour le penseur comme pour le poète, cette enfance grandiose et cette jeunesse incomprise. Là se termine le contour de ce germe moral : les philosophes en regretteront les frondaisons atteintes par la gelée dans leurs bourgeons ; mais sans doute ils en verront les fleurs écloses dans des régions plus élevées que ne le sont les plus hauts lieux de la terre.


Paris, septembre-novembre 1819.

« Cher oncle, je vais bientôt quitter ce pays, où je ne saurais vivre. Je n’y vois aucun homme aimer ce que j’aime, s’occuper de ce qui m’occupe, s’étonner de ce qui m’étonne. Forcé de me replier sur moi-même, je me creuse et souffre. La longue et patiente étude que je viens de faire de cette Société donne des conclusions tristes où le doute domine. Ici le point de départ en tout est l’argent. Il faut de l’argent, même pour se passer d’argent. Mais quoique ce métal soit nécessaire à qui veut penser tranquillement, je ne me sens pas le courage de le rendre l’unique mobile de mes pensées. Pour amasser une fortune, il faut choisir un état ; en un mot, acheter par quelque privilége de position ou d’achalandage, par un privilége légal ou fort habilement créé, le droit