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J’ignore donc si, moi son disciple, je pourrai fidèlement traduire ses pensées, après me les être assimilées de manière à leur donner la couleur des miennes.

À des idées nouvelles, des mots nouveaux ou des acceptions de mots anciens élargies, étendues, mieux définies ; Lambert avait donc choisi, pour exprimer les bases de son système, quelques mots vulgaires qui déjà répondaient vaguement à sa pensée. Le mot de volonté servait à nommer le milieu où la pensée fait ses évolutions ; ou, dans une expression moins abstraite, la masse de force par laquelle l’homme peut reproduire, en dehors de lui-même, les actions qui composent sa vie extérieure. La volition, mot dû aux réflexions de Locke, exprimait l’acte par lequel l’homme use de la Volonté. Le mot de pensée, pour lui le produit quintessentiel de la Volonté, désignait aussi le milieu où naissaient les idées auxquelles elle sert de substance. L’idée, nom commun à toutes les créations du cerveau, constituait l’acte par lequel l’homme use de la Pensée. Ainsi la Volonté, la Pensée étaient les deux moyens générateurs ; la Volition, l’Idée étaient les deux produits. La Volition lui semblait être l’idée arrivée de son état abstrait à un état concret, de sa génération fluide à une expression quasi solide, si toutefois ces mots peuvent formuler des aperçus si difficiles à distinguer. Selon lui, la Pensée et les Idées sont le mouvement et les actes de notre organisme intérieur, comme les Volitions et la Volonté constituent ceux de la vie extérieure.

Il avait fait passer la Volonté avant la Pensée. — «  Pour penser, il faut vouloir, disait-il. Beaucoup d’êtres vivent à l’état de Volonté, sans néanmoins arriver à l’état de Pensée. Au Nord, la longévité ; au Midi, la brièveté de la vie ; mais aussi, dans le Nord, la torpeur ; au Midi, l’exaltation constante de la Volonté ; jusqu’à la ligne où, soit par trop de froid, soit par trop de chaleur, les organes sont presque annulés. » Son expression de milieu lui fut suggérée par une observation faite pendant son enfance, et de laquelle il ne soupçonna certes pas l’importance, mais dont la bizarrerie dut frapper son imagination si délicatement impressible. Sa mère, personne fluette et nerveuse, tout délicate donc et tout aimante, était une des créatures destinées à représenter la Femme dans la perfection de ses attributs, mais que le sort abandonne par erreur au fond de l’état social. Tout amour, partant toute souffrance, elle mourut jeune après avoir jeté ses facultés dans l’amour maternel. Lam-