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inconnue. Un quatrième être de l’académie ! Parmi nous serait cet enfant de quatorze ans, déjà poète, aimé de madame de Staël, un futur génie, nous disait le père Haugoult ; un sorcier, un gars capable de faire un thème ou une version pendant qu’on nous appellerait en classe, et d’apprendre ses leçons en les lisant une seule fois. Louis Lambert confondait toutes nos idées. Puis la curiosité du père Haugoult, l’impatience qu’il témoignait de voir le Nouveau, attisaient encore nos imaginations enflammées. — S’il a des pigeons, il n’aura pas de cabane. Il n’y a plus de place, Tant pis ! disait l’un de nous qui, depuis, a été grand agriculteur. — Auprès de qui sera-t-il ? demandait un autre. — Oh ! que je voudrais être son faisant ! s’écriait un exalté. Dans notre langage collégial, ce mot être faisants constituait un idiotisme difficile à traduire. Il exprimait un partage fraternel des biens et des maux de notre vie enfantine, une promiscuité d’intérêts fertile en brouilles et en raccommodements, un pacte d’alliance offensive et défensive. Chose bizarre ! jamais, de mon temps, je n’ai connu de frères qui fussent Faisants. Si l’homme ne vit que par les sentiments, peut-être croit-il appauvrir son existence en confondant une affection trouvée dans une affection naturelle.

L’impression que les discours du père Haugoult firent sur moi pendant cette soirée est une des plus vives de mon enfance, et je ne puis la comparer qu’à la lecture de Robinson Crusoé. Je dus même plus tard au souvenir de ces sensations prodigieuses, une remarque peut-être neuve sur les différents effets que produisent les mots dans chaque entendement. Le verbe n’a rien d’absolu : nous agissons plus sur le mot qu’il n’agit sur nous ; sa force est en raison des images que nous avons acquises et que nous y groupons ; mais l’étude de ce phénomène exige de larges développements, hors de propos ici. Ne pouvant dormir, j’eus une longue discussion avec mon voisin de dortoir sur l’être extraordinaire que nous devions avoir parmi nous le lendemain. Ce voisin, naguère officier, maintenant écrivain à hautes vues philosophiques, Barchou de Penhoën, n’a démenti ni sa prédestination, ni le hasard qui réunissait dans la même classe, sur le même banc et sous le même toit, les deux seuls écoliers de Vendôme de qui Vendôme entende parler aujourd’hui. Le récent traducteur de Fichte, l’interprète et l’ami de Ballanche, était occupé déjà, comme je l’étais moi-même, de questions métaphysiques ; il déraisonnait souvent avec moi sur Dieu,