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dition de vous asseoir sur son trône un moment. Insensés que nous sommes ! nous refusons aux animaux les plus intelligents le don de comprendre nos pensées et le but de nos actions, nous sommes sans pitié pour les créatures des sphères inférieures, nous les chassons de notre monde, nous leur dénions la faculté de deviner la pensée humaine, et nous voudrions connaître la plus élevée de toutes les idées, l’idée de l’idée ! Eh ! bien, allez, partez ! montez par la foi de globe en globe, volez dans les espaces ! La pensée, l’amour et la foi en sont les clefs mystérieuses. Traversez les cercles, parvenez au trône ! Dieu est plus clément que vous ne l’êtes, il a ouvert son temple à toutes ses créations. Mais n’oubliez pas l’exemple de Moïse ? Déchaussez-vous pour entrer dans le sanctuaire, dépouillez-vous de toute souillure, quittez bien complétement votre corps, autrement vous seriez consumés, car Dieu… Dieu, c’est la lumière !

Au moment où le docteur Sigier, la face ardente, la main levée, prononçait cette grande parole, un rayon de soleil pénétra par un vitrail ouvert, et fit jaillir comme par magie une source brillante, une longue et triangulaire bande d’or qui revêtit l’assemblée comme d’une écharpe. Toutes les mains battirent, car les assistants acceptèrent cet effet du soleil couchant comme un miracle. Un cri unanime s’éleva : — Vivat ! vivat ! Le ciel lui-même semblait applaudir. Godefroid, saisi de respect, regardait tour à tour le vieillard et le docteur Sigier qui se parlaient à voix basse.

— Gloire au maître ! disait l’étranger.

— Qu’est une gloire passagère ? répondait Sigier.

— Je voudrais éterniser ma reconnaissance, répliqua le vieillard.

— Eh ! bien, une ligne de vous ? reprit le docteur, ce sera me donner l’immortalité humaine.

— Hé ! peut-on donner ce qu’on n’a point ? s’écria l’inconnu.

Accompagnés par la foule qui, semblable à des courtisans autour de leurs rois, se pressait sur leurs pas, en laissant entre elle et ces trois personnages une respectueuse distance, Godefroid, le vieillard et Sigier marchèrent vers la rive fangeuse où dans ce temps il n’y avait point encore de maisons, et où le passeur les attendait. Le docteur et l’étranger ne s’entretenaient ni en latin ni en langue gauloise, ils parlaient gravement un langage inconnu. Leurs mains s’adressaient tour à tour aux cieux et à la terre. Plus d’une fois,