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hommage. Trop sérieusement épris pour ne pas épier le moindre indice de complaisance, le comte se crut aimé en se voyant si bien compris. Dès lors il s’occupa de la conquête du mari plutôt que de celle de la femme, en dirigeant toutes ses batteries contre le pauvre Gambara, qui, ne se doutant de rien, avalait sans les goûter les bocconi du signor Giardini. Le comte entama la conversation sur un sujet banal ; mais, dès les premiers mots, il tint cette intelligence, prétendue aveugle peut-être sur un point, pour fort clairvoyante sur tous les autres, et vit qu’il s’agissait moins de caresser la fantaisie de ce malicieux bonhomme que de tâcher d’en comprendre les idées. Les convives, gens affamés dont l’esprit se réveillait à l’aspect d’un repas bon ou mauvais, laissaient percer les dispositions les plus hostiles au pauvre Gambara, et n’attendaient que la fin du premier service pour donner l’essor à leurs plaisanteries. Un réfugié, dont les œillades fréquentes trahissaient de prétentieux projets sur Marianna et qui croyait se placer bien avant dans le cœur de l’Italienne en cherchant à répandre le ridicule sur son mari, commença le feu pour mettre le nouveau venu au fait des mœurs de la table d’hôte.

— Voici bien du temps que nous n’entendons plus parler de l’opéra de Mahomet, s’écria-t-il en souriant à Marianna, serait-ce que tout entier aux soins domestiques, absorbé par les douceurs du pot-au-feu, Paolo Gambara négligerait un talent surhumain, laisserait refroidir son génie et attiédir son imagination ?

Gambara connaissait tous les convives, il se sentait placé dans une sphère si supérieure qu’il ne prenait plus la peine de repousser leurs attaques, il ne répondit point.

— Il n’est pas donné à tout le monde, reprit le journaliste, d’avoir assez d’intelligence pour comprendre les élucubrations musicales de monsieur, et là sans doute est la raison qui empêche notre divin maestro de se produire aux bons Parisiens.

— Cependant, dit le compositeur de romances, qui n’avait ouvert la bouche que pour y engloutir tout ce qui se présentait, je connais des gens à talent qui font un certain cas du jugement des Parisiens. J’ai quelque réputation en musique, ajouta-t-il d’un air modeste, je ne la dois qu’à mes petits airs de vaudeville et au succès qu’obtiennent mes contredanses dans les salons ; mais je compte faire bientôt exécuter une messe composée pour l’anniversaire de la mort de Beethoven, et je crois que je serai mieux