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En voyant Andrea, la signora Marianna tressaillit et ses joues se couvrirent d’une vive rougeur.

— Le voici, dit Giardini à voix basse en serrant le bras du comte et lui montrant un homme d’une grande taille. Voyez comme il est pâle et grave le pauvre homme ! aujourd’hui le dada n’a sans doute pas trotté à son idée.

La préoccupation amoureuse d’Andrea fut troublée par un charme saisissant qui signalait Gambara à l’attention de tout véritable artiste. Le compositeur avait atteint sa quarantième année ; mais quoique son front large et chauve fût sillonné de quelques plis parallèles et peu profonds, malgré ses tempes creuses où quelques veines nuançaient de bleu le tissu transparent d’une peau lisse, malgré la profondeur des orbites où s’encadraient ses yeux noirs pourvus de larges paupières aux cils clairs, la partie inférieure de son visage lui donnait tous les semblants de la jeunesse par la tranquillité des lignes et par la mollesse des contours. Le premier coup d’œil disait à l’observateur que chez cet homme la passion avait été étouffée au profit de l’intelligence qui seule s’était vieillie dans quelque grande lutte. Andrea jeta rapidement un regard à Marianna qui l’épiait. A l’aspect de cette belle tête italienne dont les proportions exactes et la splendide coloration révélaient une de ces organisations où toutes les forces humaines sont harmoniquement balancées, il mesura l’abîme qui séparait ces deux êtres unis par le hasard. Heureux du présage qu’il voyait dans cette dissemblance entre les deux époux, il ne songeait point à se défendre d’un sentiment qui devait élever une barrière entre la belle Marianna et lui. Il ressentait déjà pour cet homme de qui elle était l’unique bien, une sorte de pitié respectueuse en devinant la digne et sereine infortune qu’accusait le regard doux et mélancolique de Gambara. Après s’être attendu à rencontrer dans cet homme un de ces personnages grotesques si souvent mis en scène par les conteurs allemands et par les poëtes de libretti, il trouvait un homme simple et réservé dont les manières et la tenue, exemptes de toute étrangeté, ne manquaient pas de noblesse. Sans offrir la moindre apparence de luxe, son costume était plus convenable que ne le comportait sa profonde misère, et son linge attestait la tendresse qui veillait sur les moindres détails de sa vie. Andrea leva des yeux humides sur ! Marianna, qui ne rougit point et laissa échapper un demi-sourire où perçait peut-être l’orgueil que lui inspira ce muet