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pris à croire aux sympathies soudaines, irrésistibles ; avoir imaginé sous le feu d’une excitation passagère une aventure dans un siècle où les romans s’écrivent précisément parce qu’ils n’arrivent plus ; avoir rêvé balcons, guitares, stratagèmes, verrous, et s’être drapé dans le manteau d’Almaviva ; après avoir écrit un poëme dans sa fantaisie, s’arrêter à la porte d’un mauvais lieu ; puis, pour tout dénoûment, voir dans la retenue de sa Rosine une précaution imposée par un règlement de police, n’est-ce pas une déception par laquelle ont passé bien des hommes qui n’en conviendront pas ? Les sentiments les plus naturels sont ceux qu’on avoue avec le plus de répugnance, et la fatuité est un de ces sentiments-là. Quand la leçon ne va pas plus loin, un Parisien en profite ou l’oublie, et le mal n’est pas grand ; mais il n’en devait pas être ainsi pour l’étranger, qui commençait à craindre de payer un peu cher son éducation parisienne.

Ce promeneur était un noble Milanais banni de sa patrie, où quelques équipées libérales l’avaient rendu suspect au gouvernement autrichien. Le comte Andrea Marcosini s’était vu accueillir à Paris avec cet empressement tout français qu’y rencontreront toujours un esprit aimable, un nom sonore, accompagnés de deux cent milles livres de rente et d’un charmant extérieur. Pour un tel homme, l’exil devait être un voyage de plaisir ; ses biens furent simplement séquestrés, et ses amis l’informèrent qu’après une absence de deux ans au plus, il pourrait sans danger reparaître dans sa patrie. Apres avoir fait rimer crudeli affanni avec i miei tiranni dans une douzaine de sonnets, après avoir soutenu de sa bourse les malheureux Italiens réfugiés, le comte Andrea, qui avait le malheur d’être poëte, se crut libéré de ses idées patriotiques. Depuis son arrivée, il se livrait donc sans arrière-pensée aux plaisirs de tout genre que Paris offre gratis à quiconque est assez riche pour les acheter. Ses talents et sa beauté lui avaient valu bien des succès auprès des femmes qu’il aimait collectivement autant qu’il convenait à son âge, mais parmi lesquelles il n’en distinguait encore aucune. Ce goût était d’ailleurs subordonné en lui à ceux de la musique et de la poésie qu’il cultivait depuis l’enfance, et où il lui paraissait plus difficile et plus glorieux de réussir qu’en galanterie, puisque la nature lui épargnait les difficultés que les hommes aiment à vaincre. Homme complexe comme tant d’autres, il se laissait facilement séduire par les douceurs du luxe sans lequel il n’aurait pu vivre,