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à la vie de la prima donna, et perdait ce gros bon sens de plaisir qui distingue les chanteurs italiens,

— Allons, signorina, dit le duc en adressant un regard de prière à la Tinti, et vous, caro primo uomo, dit-il à Genovese, confondez vos voix dans un accord parfait. Répétez l’ut de Qual portento, à l’arrivée de la lumière dans l’oratorio, pour convaincre mon vieil ami Capraja de la supériorité de l’accord sur la roulade !

— Je veux l’emporter sur le prince qu’elle aime, car cela crève les yeux, elle l’adore ! se dit Genovese en lui-même.

Quelle fut la surprise des convives qui avaient écouté Genovese au bord de la mer, en l’entendant braire, roucouler, miauler, grincer, se gargariser, rugir, détonner, aboyer, crier, figurer même des sons qui se traduisaient par un râle sourd ; enfin, jouer une comédie incompréhensible en offrant aux regards étonnés une figure exaltée et sublime d’expression, comme celle des martyrs peints par Zurbaran, Murillo, Titien et Raphaël. Le rire que chacun laissa échapper se changea en un sérieux presque tragique au moment où chacun s’aperçut que Genovese était de bonne foi. La Tinti parut comprendre que son camarade l’aimait et avait dit vrai sur le théâtre, pays de mensonges.

— Poverino ! s’écriait-elle en caressant la main du prince sous la table.

— Per dio santo, s’écria Capraja, m’expliqueras-tu quelle est la partition que tu lis en ce moment, assassin de Rossini ! Par grâce, dis-nous ce qui se passe en toi, quel démon se débat dans ton gosier.

— Le démon ? reprit Genovese, dites le dieu de la musique. Mes yeux, comme ceux de sainte Cécile, aperçoivent des anges qui, du doigt, me font suivre une à une les notes de la partition écrite en traits de feu, et j’essaie de lutter avec eux. Per dio, ne me comprenez-vous pas ? le sentiment qui m’anime a passé dans tout mon être ; dans mon cœur et dans mes poumons. Mon gosier et ma cervelle ne font qu’un seul souffle. N’avez-vous jamais en rêve écouté de sublimes musiques, pensées par des compositeurs inconnus qui emploient le son pur que la nature a mis en toute chose et que nous réveillons plus ou moins bien par les instruments avec lesquels nous composons des masses colorées, mais qui, dans ces concerts merveilleux, se produit dégagé des imperfections qu’y mettent les exécutants, ils ne peuvent pas être tout sentiment,