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bel Emilio la honte de recevoir, comme beaucoup de nobles, l’indemnité de vingt sous par jour, due à tous les patriciens indigents, stipulée dans le traité de cession à l’Autriche.

Au commencement de la saison d’hiver, ce jeune seigneur était encore dans une campagne située au pied des Alpes Tyroliennes, et achetée au printemps dernier par la duchesse Cataneo. La maison bâtie par Palladio pour les Tiepolo consiste en un pavillon carré du style le plus pur. C’est un escalier grandiose, des portiques en marbre sur chaque face, des péristyles à voûtes couvertes de fresques et rendues légères par l’outremer du ciel où volent de délicieuses figures, des ornements gras d’exécution, mais si bien proportionnés que l’édifice les porte comme une femme porte sa coiffure, avec une facilité qui réjouit l’œil ; enfin cette gracieuse noblesse qui distingue à Venise les procuraties de la Piazetta. Des stucs admirablement dessinés entretiennent dans les appartements un froid qui rend l’atmosphère aimable. Les galeries extérieures peintes à fresque forment abat-jour. Partout règne ce frais pavé vénitien où les marbres découpés se changent en d’inaltérables fleurs. L’ameublement, comme celui des palais italiens, offrait les plus belles soieries richement employées, et de précieux tableaux bien placés : quelques-uns du prêtre génois dit il Capucino, plusieurs de Léonard de Vinci, de Carlo Dolci, de Tintoretto et de Titien. Les jardins étagés présentent ces merveilles où l’or a été métamorphosé en grottes de rocailles, en cailloutages qui sont comme la folie du travail, en terrasses bâties par les fées, en bosquets sévères de ton, où les cyprès hauts sur patte, les pins triangulaires, le triste olivier, sont déjà habilement mélangés aux orangers, aux lauriers, aux myrtes ; en bassins clairs où nagent des poissons d’azur et de cinabre. Quoi que l’on puisse dire à l’avantage des jardins anglais, ces arbres en parasols, ces ifs taillés, ce luxe des productions de l’art marié si finement à celui d’une nature habillée ; ces cascades à gradins de marbre où l’eau se glisse timidement et semble comme une écharpe enlevée par le vent, mais toujours renouvelée ; ces personnages en plomb doré qui meublent discrètement de silencieux asiles : enfin ce palais hardi qui fait point de vue de toutes parts en élevant sa dentelle au pied des Alpes ; ces vives pensées qui animent la pierre, le bronze et les végétaux, ou se dessinent en parterres, cette poétique prodigalité seyait à l’amour d’une duchesse et d’un joli jeune homme, lequel est une œuvre de