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sur son cœur, comme pour le garder près d’elle.

— Songe à ta promesse, lui dit Vendramin, je t’attends sur la place.

Vendramin prit le bras du Français, et lui proposa de se promener sur la place Saint-Marc en attendant le prince.

— Je serai bien heureux s’il ne revient pas, dit-il.

Cette parole fut le point de départ d’une conversation entre le Français et Vendramin, qui vit en ce moment un avantage à consulter un médecin, et qui lui raconta la singulière position dans laquelle était Emilio. Le Français fit ce qu’en toute occasion font les Français, il se mit à rire. Vendramin, qui trouvait la chose énormément sérieuse, se fâcha ; mais il s’apaisa quand l’élève de Magendie, de Flourens, de Cuvier, de Dupuytren, de Broussais, lui dit qu’il croyait pouvoir guérir le prince de son bonheur excessif, et dissiper la céleste poésie dans laquelle il environnait la duchesse comme d’un nuage.

— Heureux malheur, dit-il. Les anciens, qui n’étaient pas aussi niais que le ferait supposer leur ciel de cristal et leurs idées en physique, ont voulu peindre dans leur fable d’lxion cette puissance qui annule le corps et rend l’esprit souverain de toutes choses.

Vendramin et le médecin virent venir Genovese, accompagné du fantasque Capraja. Le mélomane désirait vivement savoir la véritable cause du fiasco. Le ténor, mis sur cette question, bavardait comme ces hommes qui se grisent par la force des idées que leur suggère une passion.

— Oui, signor, je l’aime, je l’adore avec une fureur dont je ne me croyais plus capable après m’être lassé des femmes. Les femmes nuisent trop à l’art pour qu’on puisse mener ensemble les plaisirs et le travail. La Clara croit que je suis jaloux de ses succès et que j’ai voulu empêcher son triomphe à Venise ; mais je l’applaudissais dans la coulisse et je criais : Diva ! plus fort que toute la salle.

— Mais, dit Cataneo en survenant, ceci n’explique pas comment de chanteur divin tu es devenu le plus exécrable de tous ceux qui font passer de l’air par leur gosier, sans l’empreindre de cette suavité enchanteresse qui nous ravit.

— Moi, dit le virtuose, moi devenu mauvais chanteur, moi qui égale les plus grands maîtres !