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— Vous parlez sans la reine, répondit le jeune avocat.

Quelques jours après cette déception assez amère, un apprenti remit à Christophe ce petit billet laconique.

« Chaudieu veut voir son enfant ! »

— Qu’il entre ! s’écria Christophe.

— Ô mon saint martyr ! dit le ministre en venant embrasser l’avocat, es-tu remis de tes douleurs ?

— Oui, grâce à Paré !

— Grâce à Dieu qui t’a donné la force de supporter la torture ! Mais qu’ai-je appris ? tu t’es fait recevoir avocat, tu as prêté le serment de fidélité, tu as reconnu la prostituée, l’Église catholique, apostolique et romaine !…

— Mon père l’a voulu.

— Mais ne devons-nous pas quitter nos pères, nos enfants, nos femmes, tout pour la sainte cause du calvinisme, tout souffrir !… Ah ! Christophe, Calvin, le grand Calvin, tout le parti, le monde, l’avenir comptent sur ton courage et sur ta grandeur d’âme ! Il nous faut ta vie.

Il y a ceci de remarquable dans l’esprit de l’homme, que le plus dévoué, tout en se dévouant, se bâtit toujours un roman d’espérances dans les crises les plus dangereuses. Ainsi, quand, sur l’eau, sous le Pont-au-Change, le prince, le soldat et le ministre avaient demandé à Christophe d’aller porter à Catherine ce traité qui, surpris, devait lui coûter la vie, l’enfant comptait sur son esprit, sur le hasard, sur son intelligence, et il s’était audacieusement avancé entre ces deux terribles partis, les Guise et Catherine, où il avait failli être broyé. Pendant la question, il se disait encore : — Je m’en tirerai ! ce n’est que de la douleur ! Mais à cette demande brutale : Meurs ! faite à un garçon qui se trouvait encore impotent, à peine remis de la torture et qui tenait d’autant plus à la vie qu’il avait vu la mort de plus près, il était impossible de s’abandonner à des illusions.

Christophe répondit tranquillement : — De quoi s’agit-il ?

— De tirer bravement un coup de pistolet comme Stuart sur Minard.

— Sur qui ?

— Sur le duc de Guise.

— Un assassinat ?

— Une vengeance ! Oublies-tu les cent gentilshommes massacrés