Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

des chants tombés des sphères célestes. Les étoiles répondent joyeusement à l’ivresse de la terre délivrée. La rondeur périodique de ces motifs, la noblesse des lentes gradations qui préparent l’explosion du chant et son retour sur lui-même, développent des images célestes dans l’âme. Ne croiriez-vous pas voir les cieux entr’ouverts, les anges armés de leurs sistres d’or, les séraphins prosternés agitant leurs encensoirs chargés de parfums, et les archanges appuyés sur leurs épées flamboyantes qui viennent de vaincre les impies. Le secret de cette harmonie, qui rafraîchit la pensée, est, je crois, celui de quelques œuvres humaines bien rares, elle nous jette pour un moment dans l’infini, nous en avons le sentiment, nous l’entrevoyons dans ces mélodies sans bornes comme celles qui se chantent autour du trône de Dieu. Le génie de Rossini nous conduit à une hauteur prodigieuse. De là, nous apercevons une terre promise où nos yeux caressés par des lueurs célestes se plongent sans y rencontrer d’horizon. Le dernier cri d’Elcia presque guérie rattache un amour terrestre à cette hymne de reconnaissance. Ce cantilène est un trait de génie. -- Chantez, dit la duchesse en entendant la dernière strophe exécutée comme elle était écoutée, avec un sombre enthousiasme ; chantez, vous êtes libres.

Ce dernier mot fut dit d’un accent qui fit tressaillir le médecin ; et pour arracher la duchesse à son amère pensée, il lui fit, pendant le tumulte excité par les rappels de la Tinti, une de ces querelles auxquelles les Français excellent.

— Madame, dit-il, en m’expliquant ce chef-d’œuvre que grâce à vous je reviendrai entendre demain, en le comprenant et dans ses moyens et dans son effet, vous m’avez parlé souvent de la couleur de la musique, et de ce qu’elle peignait ; mais en ma qualité d’analyste et de matérialiste, je vous avouerai que je suis toujours révolté par la prétention qu’ont certains enthousiastes de nous faire croire que la musique peint avec des sons. N’est-ce pas comme si les admirateurs de Raphaël prétendaient qu’il chante avec des couleurs ?

— Dans la langue musicale, répondit la duchesse, peindre, c’est réveiller par des sons certains souvenirs dans notre cœur, ou certaines images dans notre intelligence, et ces souvenirs, ces images ont leur couleur, elles sont tristes ou gaies. Vous nous faites une querelle de mots, voilà tout. Selon Capraja, chaque instrument a