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par le feu de cette colère. La goutte se taisait devant cette horrible excitation. Le visage de Calvin était nuancé de pourpre comme un ciel à l’orage. Son vaste front brillait. Ses yeux flamboyaient. Il ne se ressemblait plus. Il s’abandonna à cette espèce de mouvement épileptique, plein de rage, qui lui était familier ; mais saisi par le silence de ses deux auditeurs, et remarquant Chaudieu qui dit à de Bèze : « Le buisson d’Horeb ! » le pasteur s’assit, se tut, et se voila le visage de ses deux mains aux articulations nouées et qui palpitaient malgré leur épaisseur.

Quelques instants après, encore en proie aux dernières secousses de ce grain engendré par la chasteté de sa vie, il leur dit d’une voie émue : — Mes vices, qui sont nombreux, me coûtent moins à dompter que mon impatience ! Oh ! bête féroce, ne te vaincrai-je jamais ? ajouta-t-il en se frappant à la poitrine.

— Mon cher maître, dit de Bèze d’une voix caressante et en prenant les mains de Calvin qu’il baisa, Jupiter tonne, mais il sait sourire.

Calvin regarda son disciple d’un œil adouci en lui disant : — Comprenez-moi, mes amis.

— Je comprends que les pasteurs de peuples ont de terribles fardeaux, répondit Théodore. Vous avez un Monde sur vos épaules.

— J’ai, dit Chaudieu, que l’algarade du maître avait rendu pensif, j’ai trois martyrs sur lesquels nous pouvons compter. Stuart, qui a tué le président, est en liberté…

— Erreur ! dit Calvin doucement et en souriant comme tous les grands hommes qui font succéder le beau temps sur leur figure, comme s’ils étaient honteux d’y avoir laissé régner l’orage. Je connais les hommes. On tue un président, on n’en tue pas deux.

— Est-ce absolument nécessaire ? dit de Bèze.

— Encore ? fit Calvin en enflant ses narines. Tenez, laissez-moi, vous me remettriez en fureur. Allez avec ma décision. Toi, Chaudieu, marche dans ta voie et maintiens ton troupeau de Paris. Que Dieu vous conduise ! Dinah ?… éclairez mes amis.

— Ne me permettrez-vous pas de vous embrasser ? dit Théodore avec attendrissement. Qui de nous peut savoir ce qu’il lui adviendra demain ? Nous pouvons être saisis malgré les sauf-conduits…

— Et tu veux les ménager ? dit Calvin en embrassant de Bèze. Il prit la main de Chaudieu en lui disant : — Surtout pas de Huguenots, pas de Réformés, devenez Calvinistes ! Ne parlez que du