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apporté par l’entêtement de Genovese, chanta Mi manca la voce, comme nulle cantatrice ne le chantera. L’enthousiasme fut au comble, les spectateurs passèrent de l’indignation et de la furent aux jouissances les plus aiguës.

— Elle me verse des flots de pourpre dans l’âme, disait Capraja en bénissant de sa main étendue la diva Tinti.

— Que le ciel épuise ses grâces sur ta tête ! lui cria un gondolier.

— Le Pharaon va révoquer ses ordres, reprit la duchesse pendant que l’émeute se calmait au parterre, Moïse le foudroiera sur son trône en lui annonçant la mort de tous les aînés de l’Égypte et chantant cet air de vengeance qui contient les tonnerres du ciel, et où résonnent les clairons hébreux. Mais ne vous y trompez pas, cet air est un air de Pacini, que Carthagenova substitue à celui de Rossini. Cet air de Paventa restera sans doute dans la partition ; il fournit trop bien aux basses l’occasion de déployer les richesses de leur voix, et ici l’expression doit l’emporter sur la science. D’ailleurs, l’air est magnifique de menaces, aussi ne sais-je si l’on nous le laissera longtemps chanter.

Une salve de bravos et d’applaudissements, suivie d’un profond et prudent silence, accueillit l’air ; rien ne fut plus significatif ni plus vénitien que cette hardiesse, aussitôt réprimée.

— Je ne vous dirai rien du tempo di marcia qui annonce le couronnement d’Osiride, par lequel le père veut braver la menace de Moïse, il suffit de l’écouter. Leur fameux Beethoven n’a rien écrit de plus magnifique. Cette marche, pleine de pompes terrestres, contraste admirablement avec la marche des Hébreux. Comparez-les ? la musique est ici d’une inouïe fécondité. Elcia déclare son amour à la face des deux chefs des Hébreux, et le sacrifie par cet admirable air de Porge la destra amata (Donnez à une autre votre main adorée). Ah ! quelle douleur ! voyez la salle ?

— Bravo ! cria le parterre quand Genovese fut foudroyé.

— Délivrée de son déplorable compagnon, nous entendrons la Tinti chanter : O desolata Elcia ! la terrible cavatine où crie un amour réprouvé par Dieu.

— Rossini, où es-tu pour entendre si magnifiquement rendu ce que ton génie t’a dicté, dit Cataneo, Clarina n’est-elle pas son égale ? demanda-t-il à Capraja. Pour animer ces notes par des bouffées de feu qui, parties des poumons, se grossissent dans l’air