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— Grand Dieu ! s’écria Lecamus.

— Ne vous exclamez pas ainsi, c’est d’un bourgeois qui ne sait rien de la cour ; mais allez aussitôt chez Ambroise, et sachez de lui ce qu’il compte faire pour sauver le roi. S’il y a quelque certitude, vous viendrez me confier l’opération en laquelle il a tant de foi.

— Mais… dit Lecamus.

— Obéissez aveuglément, mon cher, autrement vous seriez ébloui.

— Il a raison, pensa le pelletier. Et il alla chez le premier chirurgien du roi, qui logeait dans une hôtellerie sur la place du Martroi.

En ce moment, Catherine de Médicis se trouvait dans une extrémité politique semblable à celle où Christophe l’avait vue à Blois. Si elle s’était formée à la lutte, si elle avait exercé sa haute intelligence dans cette première défaite, sa situation, quoique exactement la même, était aussi devenue plus critique et plus périlleuse que lors du tumulte d’Amboise. Les événements avaient grandi autant que la femme. Quoiqu’elle parût marcher d’accord avec les deux princes lorrains, Catherine tenait les fils d’une conspiration savamment ourdie contre ses terribles associés, et attendait un moment propice pour lever le masque. Le Cardinal venait d’avoir la certitude d’être trompé par Catherine. Cette habile Italienne avait vu dans la maison cadette un obstacle à opposer aux prétentions des Guise ; et, malgré l’avis des deux Gondi, qui lui conseillaient de laisser les Guise se porter à des violences contre les Bourbons, elle avait fait manquer, en avertissant la reine de Navarre, le projet concerté par les Guise avec l’Espagne de s’emparer du Béarn. Comme ce secret d’État n’était connu que d’eux et de la reine-mère, les deux princes lorrains, certains de la duplicité de leur alliée, voulurent la renvoyer à Florence ; et, pour s’assurer de la trahison de Catherine envers l’État (la maison de Lorraine était l’État), le duc et le cardinal venaient de lui confier leur dessein de se défaire du roi de Navarre. Les précautions que prit à l’instant Antoine de Bourbon prouvèrent aux deux frères que ce secret, connu d’eux trois seulement, avait été divulgué par la reine-mère. Le cardinal de Lorraine reprocha sur-le-champ à la reine-mère son manque de foi devant François II, en la menaçant d’un édit de bannissement, au cas où de nouvelles indiscrétions mettraient