Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Venez donc chez moi, dit l’astrologue en souriant. J’ai pour observer les astres la tour du sieur Touchet de Beauvais, le lieutenant du Bailliage, dont la fille plaît fort au petit duc d’Orléans. J’ai fait le thème de cette petite, il indique en effet qu’elle sera une grande dame et aimée par un roi. Le lieutenant est un bel esprit, il aime les sciences, et la reine m’a fait loger chez ce bonhomme, qui a l’esprit d’être un forcené guisard en attendant le règne de Charles IX.

Le pelletier et l’astrologue se rendirent à l’hôtel du sieur de Beauvais sans être vus ni rencontrés ; mais dans le cas où la visite de Lecamus serait découverte, le Florentin comptait lui donner le prétexte d’une consultation astrologique sur le sort de Christophe. Quand ils furent arrivés en haut de la tourelle où l’astrologue avait mis son cabinet, Lecamus lui dit : — Mon fils est donc bien certainement vivant ?

— Encore, répondit Ruggieri, mais il s’agit de le sauver. Songez, marchand de peaux, que je ne donnerais pas deux liards de la vôtre, s’il vous échappait, dans toute votre vie, une seule syllabe de ce que je vais vous dire.

— Recommandation inutile, mon maître ; je suis fournisseur de la cour depuis le défunt roi Louis XII, et voici le quatrième règne que je vois.

— Vous direz bientôt le cinquième, repartit Ruggieri.

— Que savez-vous de mon fils ?

— Eh ! bien, il a été mis à la question.

— Pauvre enfant ! dit le bonhomme en levant les yeux au ciel.

— Il a les genoux et les chevilles un tantinet broyés ; mais il a conquis une royale protection qui s’étendra sur toute sa vie, fit vivement le Florentin en voyant l’effroi du père. Votre petit Christophe a rendu service à notre grande reine Catherine. Si nous tirons votre fils des griffes du Lorrain, vous le verrez quelque jour conseiller au parlement. On se ferait casser trois fois les os pour être dans les bonnes grâces de cette chère souveraine, un bien beau génie, qui triomphera de tous les obstacles ! J’ai fait le thème du duc de Guise : il sera tué dans un an d’ici ! Voyons, Christophe a vu le prince de Condé…

— Vous qui savez l’avenir, ne savez-vous point le passé ? dit le pelletier.

— Je ne vous interroge pas, bonhomme, je vous instruis. Or, si