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Sa première terreur passée, Christophe rappela son courage : l’heure de son martyre était venue. Il regarda dès lors avec une froide curiosité les dispositions que faisaient le bourreau et ses valets. Après avoir dressé un lit à la hâte, ces deux hommes préparaient des machines appelées brodequins, consistant en plusieurs planches entre lesquelles on plaçait chacune des jambes du patient, qui s’y trouvait prise dans de petits matelas. Chaque jambe ainsi arrangée était rapprochée l’une de l’autre. L’appareil employé par les relieurs pour serrer leurs volumes entre deux planches qu’ils maintiennent avec des cordes, peut donner une idée très-exacte de la manière dont chaque jambe du patient était disposée. Chacun imaginera dès lors l’effet que produisait un coin chassé à coups de maillet entre les deux appareils où la jambe était comprimée, et qui, serrés eux-mêmes par des câbles, ne cédaient point. On enfonçait les coins à la hauteur des genoux et aux chevilles, comme s’il s’agissait de fendre un morceau de bois. Le choix de ces deux endroits dénués de chair, et où par conséquent le coin se faisait place aux dépens des os, rendait cette question horriblement douloureuse. Dans la question ordinaire, on chassait quatre coins, deux aux chevilles et deux aux genoux ; mais dans la question extraordinaire, on allait jusqu’à huit, pourvu que les médecins jugeassent que la sensibilité du prévenu n’était pas épuisée. À cette époque, les brodequins s’appliquaient également aux mains ; mais, pressés par le temps, le cardinal, le lieutenant-général du royaume et le chancelier en dispensèrent Christophe. Le procès-verbal était ouvert, le grand-prévôt en avait dicté quelques phrases en se promenant d’un air méditatif, et en faisant dire à Christophe ses noms, ses prénoms, son âge, sa profession ; puis il lui demanda de quelle personne il tenait les papiers qu’il avait remis à la reine.

— Du ministre Chaudieu, répondit-il.

— Où vous les a-t-il remis ?

— Chez moi, à Paris.

— En vous les remettant, il a dû vous dire si la reine-mère vous accueillerait avec plaisir.

— Il ne m’a rien dit de semblable, répondit Christophe. Il m’a seulement prié de les remettre à la reine Catherine en secret.

— Vous avez donc vu souvent Chaudieu, pour qu’il fût instruit de votre voyage.

— Le ministre n’a pas su par moi qu’en apportant leurs four-