Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Partir ! Mais comment ?

— J’achèterai un cheval. Écrivez, au nom de Dieu !

— Hé ! la mère ? de l’argent à ton fils, cria le pelletier à sa femme.

La mère rentra, courut à son bahut et donna une bourse à Christophe, qui, tout ému, l’embrassa.

— Le compte était tout prêt, dit son père, le voici. Je vais écrire la lettre.

Christophe prit le compte et le mit dans sa poche.

— Mais tu souperas au moins avec nous, dit le bonhomme. Dans ces extrémités, il faut échanger vos anneaux, la fille à Lallier et toi.

— Eh ! bien, je vais l’aller querir, s’écria Christophe.

Le jeune homme se défia des incertitudes de son père dont le caractère ne lui était pas encore assez connu ; il monta dans sa chambre, s’habilla, prit une valise, descendit à pas de loup, la posa sur un comptoir de la boutique, ainsi que sa rapière et son manteau.

— Que diable fais-tu ? lui dit son père en l’entendant.

Christophe vint baiser le vieillard sur les deux joues.

— Je ne veux pas qu’on voie mes apprêts de départ, j’ai tout mis sous un comptoir, lui répondit-il à l’oreille.

— Voici la lettre, dit le père.

Christophe prit le papier et sortit comme pour aller chercher la jeune voisine.

Quelques instants après le départ de Christophe, le compère Lallier et sa fille arrivèrent, précédés d’une servante qui apportait trois bouteilles de vin vieux.

— Hé ! bien, où est Christophe ? dirent les deux vieilles gens.

— Christophe ? s’écria Babette, nous ne l’avons pas vu.

— Mon fils est un fier drôle ! il me trompe comme si je n’avais pas de barbe. Mon compère, que va-t-il arriver ? Nous vivons dans un temps où les enfants ont plus d’esprit que les pères.

— Mais il y a longtemps que tout le quartier en fait un mangeur de vache à Colas, dit Lallier.

— Défendez-le sur ce point, compère, dit le pelletier à l’orfévre, la jeunesse est folle, elle court après les choses neuves ; mais Babette le fera tenir tranquille, elle est encore plus neuve que Calvin.

Babette sourit ; elle aimait Christophe et s’offensait de tout ce que l’on disait contre lui. C’était une de ces filles de la vieille bourgeoisie, élevée sous les yeux de sa mère qui ne l’avait pas quittée : son maintien était doux, correct comme son visage ; elle