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absolu chez lui. Très-honoré par ses confrères, il devait à la longue possession de la première place dans son commerce une immense considération. Il rendait d’ailleurs volontiers service, et parmi ceux qu’il avait rendus, un des plus éclatants était certes l’assistance qu’il prêta longtemps au plus fameux chirurgien du seizième siècle, Ambroise Paré, qui lui devait d’avoir pu se livrer à ses études. Dans toutes les difficultés qui survenaient entre marchands, Lecamus se montrait conciliant. Aussi l’estime générale consolidait-elle sa position parmi ses égaux, comme son caractère d’emprunt le maintenait en faveur à la cour. Après avoir brigué par politique dans sa paroisse les honneurs de la fabrique, il faisait le nécessaire pour se conserver en bonne odeur de sainteté près du curé de Saint-Pierre-aux-Bœufs, qui le regardait comme un des hommes de Paris les plus dévoués à la religion catholique. Aussi, lors de la convocation des États-généraux, fut-il nommé tout d’une voix pour représenter le tiers-état par l’influence des curés de Paris qui dans ce temps était immense. Ce vieillard était un de ces sourds et profonds ambitieux qui se courbent pendant cinquante ans devant chacun, en se glissant de poste en poste, sans qu’on sache comment ils sont arrivés, mais qui se trouvent assis et au repos là où jamais personne, même parmi les plus audacieux, n’aurait osé s’avouer un pareil but au commencement de la vie : tant était forte la distance, tant d’abîmes étaient à franchir et où l’on devait rouler ! Lecamus, qui avait une immense fortune cachée, ne voulait courir aucun péril et préparait un brillant avenir à son fils. Au lieu d’avoir cette ambition personnelle qui souvent sacrifie l’avenir au présent, il avait l’ambition de famille, sentiment perdu de nos jours, étouffé par la sotte disposition de nos lois sur les successions. Lecamus se voyait premier président au parlement de Paris dans la personne de son petit-fils.

Christophe, filleul du fameux de Thou l’historien, avait reçu la plus solide éducation ; mais elle l’avait conduit au doute et à l’examen qui gagnait les étudiants et les Facultés de l’Université. Christophe faisait en ce moment ses études pour débuter au barreau, ce premier degré de la magistrature. Le vieux pelletier jouait l’hésitation à propos de son fils : il paraissait tantôt vouloir faire de Christophe son successeur, tantôt en faire un avocat ; mais sérieusement il ambitionnait pour ce fils une place de conseiller au parlement. Ce marchand voulait mettre la famille Lecamus au rang