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le fait… Et quelle mine ! dit-il en singeant l’inconnu. Comme il a le nez dans son manteau ! quel œil jaune ! quel teint d’affamé !

Quand l’inconnu décrit ainsi par l’apprenti vit Christophe seul sur le pas de sa boutique, il quitta rapidement la galerie opposée où il se promenait, traversa la rue, vint sous les piliers de la maison Lecamus, et quand il passa le long de la boutique, avant que les apprentis ne revinssent pour fermer les volets, il aborda le jeune homme.

— Je suis Chaudieu ! dit-il à voix basse.

En entendant le nom d’un des plus illustres ministres et des plus dévoués acteurs du drame terrible appelé la Réformation, Christophe tressaillit comme aurait tressailli un paysan fidèle en reconnaissant son roi déguisé.

— Vous voulez peut-être voir des fourrures ? Quoiqu’il fasse presque nuit, je vais vous en montrer moi-même, dit Christophe qui voulut donner le change aux apprentis en les entendant derrière lui.

Il invita par un geste le ministre à entrer ; mais celui-ci lui répondit qu’il aimait mieux l’entretenir dehors. Christophe alla prendre son bonnet et suivit le disciple de Calvin.

Quoique banni par un édit, Chaudieu, plénipotentiaire secret de Théodore de Bèze et de Calvin, qui, de Genève dirigeaient la Réformation française, allait et venait en bravant le cruel supplice auquel le Parlement, d’accord avec l’Église et la Royauté, pour faire un terrible exemple, avait condamné l’un de ses membres, le célèbre Anne du Bourg. Ce ministre, qui avait un frère capitaine, un des meilleurs soldats de l’amiral Coligny, fut un des bras avec lesquels Calvin remua la France au commencement des vingt-deux années de guerres religieuses alors près de s’allumer. Ce ministre est un de ces rouages secrets qui peuvent le mieux expliquer l’immense action de la Réforme. Chaudieu fit descendre Christophe au bord de l’eau par un passage souterrain semblable à celui de l’arche Marion, comblé il y a dix ans. Ce passage, situé entre la maison de Lecamus et la maison voisine, se trouvait sous la rue de la Vieille-Pelleterie, et se nommait le Pont-aux-Fourreurs. Il servait en effet aux teinturiers de la Cité pour aller laver leurs fils, leurs soies et leurs étoffes. Une barquette était là, gardée et menée par un seul marinier. Il s’y trouvait à la proue un inconnu de petite taille, vêtu fort simplement. En un moment la barque fut au milieu de