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mus. Dans ce temps, la femme d’un homme qui n’était pas noble n’avait point droit au titre de dame ; mais les femmes des bourgeois de Paris avaient droit au titre de demoiselle, en raison des priviléges accordés et confirmés à leurs maris par plusieurs rois auxquels ils avaient rendu d’éminents services. Entre cette arrière-boutique et le magasin, tournait une vis en bois, espèce d’escalier en colimaçon par où l’on montait aux étages supérieurs où étaient le grand magasin, l’habitation du vieux couple, et aux combles éclairés par des lucarnes où demeuraient les enfants, la servante, les apprentis et les commis.

Cet entassement des familles, des serviteurs et des apprentis, le peu d’espace que chacun tenait à l’intérieur où les apprentis couchaient tous dans une grande chambre sous les toits, explique et l’énorme population de Paris alors agglomérée sur le dixième du terrain de la ville actuelle, et tous les détails bizarres de la vie privée au Moyen-âge, et les ruses d’amour qui, n’en déplaise aux historiens sérieux, ne se retrouvent que dans les conteurs, et qui sans eux eussent été perdus. À cette époque, un très-grand seigneur, comme l’amiral de Coligny, par exemple, occupait trois chambres dans Paris, et sa suite était dans une hôtellerie voisine. Il n’y avait pas alors cinquante hôtels dans Paris, c’est-à-dire, cinquante palais appartenant à des princes souverains ou à de grands vassaux dont l’existence était supérieure à celle des plus grands souverains allemands, tels que le duc de Bavière ou l’Électeur de Saxe.

La cuisine de la maison Lecamus se trouvait au-dessous de l’arrière-boutique sur la rivière. Elle avait une porte vitrée donnant sur une espèce de balcon en fer d’où la cuisinière pouvait tirer de l’eau avec un seau et où se blanchissait le linge de la maison. L’arrière-boutique était donc à la fois la salle à manger, le cabinet et le salon du marchand. Dans cette pièce importante, toujours garnie de riches boiseries, ornée de quelque objet d’art, d’un bahut, se passait la vie du marchand : là les joyeux soupers après le travail, là les conférences secrètes sur les intérêts politiques de la bourgeoisie et de la royauté. Les redoutables corporations de Paris pouvaient alors armer cent mille hommes. Aussi, dans ce temps-là, les résolutions des marchands étaient-elles appuyées par leurs serviteurs, par leurs commis, par leurs apprentis et par leurs ouvriers. Les bourgeois avaient dans le Prévôt des Marchands un chef qui les commandait, et à l’Hôtel-de-Ville, un palais où ils avaient le droit