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tendent-elles moins à regretter ces fragments de la vieille cité qu’à consacrer leur peinture par les dernières preuves vivantes, près de mourir, et à faire absoudre des descriptions précieuses pour un avenir qui talonne le siècle actuel.

Les murs de cette maison étaient bâtis en bois couvert d’ardoises. Les intervalles entre chaque pièce de bois avaient été, comme on le voit encore dans quelques vieilles villes de province, remplis par des briques dont les épaisseurs contrariées formaient un dessin appelé point de Hongrie. Les appuis des croisées et leurs linteaux, également en bois, étaient richement sculptés, comme le pilier du coin qui s’élevait au-dessus de la madone, comme les piliers de la devanture du magasin. Chaque croisée, chaque maîtresse-poutre qui séparait les étages offrait des arabesques de personnages ou d’animaux fantastiques couchés dans des feuillages d’invention. Du côté de la rue, comme sur la rivière, la maison avait pour coiffure un toit semblable à deux cartes mises l’une contre l’autre, et présentait ainsi pignon sur rue et pignon sur l’eau. Le toit débordait comme le toit d’un chalet suisse, assez démesurément pour qu’il y eut au second étage une galerie extérieure, ornée de balustres, sur laquelle la bourgeoise se promenait à couvert en voyant sur toute la rue ou sur le bassin compris entre les deux ponts et les deux rangées de maisons.

Les maisons assises sur la rivière étaient alors d’une grande valeur. À cette époque le système des égouts et des fontaines était à créer, il n’existait encore que l’égout de ceinture achevé par Aubriot, le premier homme de génie et de puissant vouloir qui pensa, sous Charles V, à l’assainissement de Paris. Les maisons situées comme celle de Lecamus trouvaient dans la rivière à la fois l’eau nécessaire à la vie et l’écoulement naturel des eaux pluviales ou ménagères. Les immenses travaux que les Prévôts des Marchands ont faits en ce genre disparaissent encore. Aujourd’hui les quadragénaires seuls se souviennent d’avoir vu les gouffres où s’engloutissaient les eaux, rue Montmartre, rue du Temple, etc. Ces terribles gueules béantes furent, en ces vieux temps, d’immenses bienfaits. Leur place sera sans doute éternellement marquée par l’exhaussement subit de la chaussée à l’endroit où elles s’ouvraient : autre détail archéologique inexplicable dans deux siècles pour l’historien. Un jour, vers 1816, une petite fille qui portait à une actrice de l’Ambigu ses diamants pour un rôle de reine, fut sur-