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(O Dieu d’Israël, si tu veux que ton peuple fidèle sorte d’esclavage, daigne avoir pitié de lui et de nous !)

— Jamais il n’y eut une si grande synthèse des effets naturels, une idéalisation si complète de la nature. Dans les grandes infortunes nationales, chacun se plaint longtemps séparément ; puis il se détache sur la masse, çà et là, des cris de douleur plus ou moins violents ; enfin, quand la misère a été sentie par tous, elle éclate comme une tempête. Une fois entendus sur leur plaie commune, les peuples changent alors leurs cris sourds en des cris d’impatience. Ainsi a procédé Rossini. Après l’explosion en ut majeur, le Pharaon chante son sublime récitatif de : Mano ultrice di un dio ! (Dieu vengeur, je te reconnais trop tard !) Le thème primitif prend alors un accent plus vif : l’Égypte entière appelle Moïse à son secours.

La duchesse avait profité de la transition nécessitée par l’arrivée de Moïse et d’Aaron pour expliquer ainsi ce beau morceau.

— Qu’ils pleurent, ajouta-t-elle passionnément, ils ont fait bien des maux. Expiez, Egyptiens, expiez les fautes de votre cour insensée ! Avec quel art ce grand peintre a su employer toutes les couleurs brunes de la musique et tout ce qu’il y a de tristesse sur la palette musicale ? Quelles froides ténèbres ! quelles brumes ! N’avez-vous pas l’âme en deuil ? N’êtes-vous pas convaincu de la réalité des nuages noirs qui couvrent la scène ? Pour vous, les ombres les plus épaisses n’enveloppent-elles pas la nature ? Il n’y a ni palais égyptiens, ni palmiers, ni paysages. Aussi quel bien ne vous feront-elles pas à l’âme, les notes profondément religieuses du médecin céleste qui va guérir cette cruelle plaie ? Comme tout est gradué pour arriver à cette magnifique invocation de Moïse à Dieu ! Par un savant calcul dont les analogies vous seront expliquées par Capraja, cette invocation n’est accompagnée que par les cuivres. Ces instruments donnent à ce morceau sa grande couleur religieuse. Non-seulement cet artifice est admirable ici, mais encore voyez combien le génie est fertile en ressources, Rossini a tiré des beautés neuves de l’obstacle qu’il se créait. Il a pu réserver les instruments à cordes pour exprimer le jour quand il va succéder aux ténèbres, et arriver ainsi à l’un des plus puissants effets connus en musique. Jusqu’à cet inimitable génie, avait-on jamais tiré un pareil parti du récitatif ? il n’y a pas encore un air ni un duo. Le poète s’est soutenu par la force de la pensée, par la vigueur des