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le Rhône ; il s’arrêta pour coucher à Tournon, et, par passe-temps, il fit quelques exercices violents qui furent presque toute l’éducation de son frère et de lui, par suite de leur captivité comme otages. Ce prince eut l’imprudence, ayant très-chaud, au mois d’août, de demander un verre d’eau que Montécuculli lui servit à la glace. Le Dauphin mourut presque subitement. François Ier adorait son fils. Le Dauphin était, selon tous les historiens, un prince accompli. Le père au désespoir donna le plus grand éclat à la procédure suivie contre Montécuculli, il en chargea les plus savants magistrats du temps. Après avoir subi héroïquement les premières tortures sans rien avouer, le comte fit des aveux par lesquels il impliqua constamment l’empereur et ses deux généraux Antoine de Lèves et Ferdinand de Gonzague. Cette procédure ne satisfit point François Ier. Aucune affaire ne fut plus solennellement débattue que celle-ci. Voici ce que fit le roi, d’après le récit d’un témoin oculaire.

« Le roy fit assembler à Lion tous les princes de son sang et tous les chevaliers de son ordre et austres gros personnages de son royaume : les légat et nonce du pape, les cardinaux qui se trouvèrent en sa cour, aussi les ambassadeurs d’Angleterre, Escosse, Portugal, Venise, Ferrare et austres ; ensemble tous les princes et gros seigneurs étrangers, tant d’Italie que d’Allemagne, qui pour ce temps-là résidoient en sa cour, comme le duc d’Wittemberg, Alleman ; les ducs de Somme, d’Arianne, d’Atrie ; prince de Melphe (il avait voulu épouser Catherine), et de Stilliane Napolitain ; le seigneur dom Hippolyte d’Est ; le marquis de Vigeve de la maison Trivulce, Milanois ; le seigneur Jean Paul de Cere, Romain ; le seigneur César Frégose, Génevoi, (Génois de Genova), le seigneur Annibal de Gonzague, Mantouan [Montouan], et autres en très-grand nombre. Lesquels assemblés il fit lire en la présence de eux, depuis un bout jusqu’à l’autre, le procès du malheureux homme qui avoit empoisonné feu monsieur le Dauphin, avec les interrogatoires, confessions, confrontations, et austres solemnités accoutumés en procès criminel, ne voulant pas que l’arrêt fût exécuté, sans que tous les assistants eussent donné leur advis sur cest énorme et misérable cas. »

La fidélité, le dévouement et l’habileté du comte Montécuculli peuvent paraître extraordinaires par un temps d’indiscrétion générale où tout le monde, même les ministres, parlent du plus petit