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Français, qui avez accompli naguère la plus sanglante des révolutions, chez qui l’aristocratie fut écrasée sous la patte du lion populaire, le jour où cet oratorio sera exécuté chez vous, vous comprendrez cette magnifique plainte des victimes d’un Dieu qui venge son peuple. Un Italien pouvait seul écrire ce thème fécond, inépuisable et tout dantesque. Croyez-vous que ce ne soit rien que de rêver la vengeance pendant un moment ? Vieux maîtres allemands, Haendel, Sébastien Bach, et toi-même Beethoven, à genoux, voici la reine des arts, voici l’Italie triomphante !

La duchesse avait pu dire ces paroles pendant le lever du rideau. Le médecin entendit alors la sublime symphonie par laquelle le compositeur a ouvert cette vaste scène biblique. Il s’agit de la douleur de tout un peuple. La douleur est une dans son expression, surtout quand il s’agit de souffrances physiques. Aussi, après avoir instinctivement deviné, comme tous les hommes de génie, qu’il ne devait y avoir aucune variété dans les idées, le musicien, une fois sa phrase capitale trouvée, l’a-t-il promenée de tonalités en tonalités, en groupant les masses et ses personnages sur ce motif par des modulations et par des cadences d’une admirable souplesse. La puissance se reconnaît à cette simplicité. L’effet de cette phrase, qui peint les sensations du froid et de la nuit chez un peuple incessamment baigné par les ondes lumineuses du soleil, et que le peuple et ses rois répètent, est saisissant. Ce lent mouvement musical a je ne sais quoi d’impitoyable. Cette phrase fraîche et douloureuse est comme une barre tenue par quelque bourreau céleste qui la fait tomber sur les membres de tous ces patients par temps égaux. A force de l’entendre allant d’ut mineur en sol mineur, rentrant en ut pour revenir à la dominante sol, et reprendre en fortissime sur la tonique mi bémol, arriver en fa majeur et retourner en ut mineur, toujours de plus en plus chargée de terreur, de froid et de ténèbres, l’âme du spectateur finit par s’associer aux impressions exprimées par le musicien. Aussi le Français éprouva-t-il la plus vive émotion quand arriva l’explosion de toutes ces douleurs réunies qui crient :

O nume d’Israël !

Se brami in liberta

Il popol tuo fedel

Di lui, di noi pieta.